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porte d’après Boerhaave, le cas d’un jeune homme qui s’endormit les coudes appuyés sur la fenêtre étant ivre. Ses jarretieres étoient si étroitement serrées, que le sang retenu avoit enflé les jambes ; le mouvement vital des humeurs ayant entierement été suffoqué, la gangrene survint ; elle gagna promptement les deux cuisses, & causa la mort.

Les étranglemens capables de causer la gangrene, ne sont pas même toûjours accompagnés d’engorgemens bien sensibles ; l’inflammation qui se fait sur les parties aponévrotiques ne produit pas une tuméfaction apparente : mais les arteres étranglées ne portent bien-tôt plus les sucs nourriciers à la partie ; elle devient œdémateuse, parce que les sucs graisseux sont arrêtés par l’extinction de la vie ou de l’action organique. Ces sucs croupissant se dépravent, & détruisent promptement le foible tissu qui les contient. L’espece de gangrene cachée dont nous parlons, est fort redoutable, parce qu’elle s’étend, sans presque qu’on s’en apperçoive, fort au loin dans les tissus graisseux.

C’est l’étranglement qui rend les plaies des parties nerveuses & aponévrotiques si dangereuses. On a commis des fautes considérables dans la pratique, parce qu’on n’a pas connu la véritable cause de ces desordres, & qu’on a ignoré qu’ils fussent l’effet d’un étranglement causé par la construction des parties blessées. On s’étoit bien apperçu qu’en débridant par des incisions assez étendues une aponévrose blessée, les enflures qui dépendoient de cette plaie se dissipoient aussi surement, que celles qui sont causées par des ligatures trop serrées, se dissipent facilement lorsqu’on coupe ces ligatures. Mais combien de fois n’a-t-on pas reconnu cette cause, en attribuant les accidens à un vice des humeurs, ou à un excès d’inflammation, pour lequel on croyoit avoir épuisé les ressources de l’art, en faisant de grandes scarifications sur la partie tuméfiée consécutivement, lorsqu’il auroit suffi de faire un leger débridement aux parties membraneuses qui occasionnoient tout le desordre par leur tension ? Une piquûre d’épine au doigt, forme une plaie imperceptible, qui suscite des étranglemens suivis d’engorgemens gangreneux très-funestes. Les morsures des animaux produisent souvent les mêmes effets, surtout lorsqu’elles sont petites : on a imagine que l’animal portoit dans la plaie quelque malignité particuliere. Cependant nous avons les exemples de morsures très-considérables qui n’ont eu aucunes suites fâcheuses, sans doute parce que la grande déchirure ne donne pas lieu à l’étranglement comme une plaie étroite. Les sucs qui s’épanchent dans ces sortes de plaies, & qui n’ont point d’issue, le dépravent aussi sur les parties nerveuses ; ils les irritent, & excitent des étranglemens qui seroient bien-tôt suivis d’engorgemens prodigieux, si l’on ne procuroit pas un écoulement à ces sucs épanchés.

On voit que le point essentiel dans la cure des étranglemens est de lever l’obstacle que la tension des parties met au libre cours du sang. C’est aux connoissances anatomiques bien précises, à éclairer le chirurgien sur ces cas, & à diriger ses opérations ; s’il ne connoît pas bien toutes les cloisons que les parties membraneuses & aponévrotiques fournissent aux muscles des parties engorgées, il risquera d’opérer au hasard & infructueusement.

Quand l’étranglement est levé, il reste encore à satisfaire aux indications de l’engorgement qu’il a causé ; & elles sont différentes, selon les différens états ou les différens degrés où il est parvenu. Si les sucs arrêtés n’ont point encore perdu leur chaleur & leur fluidité, ni affoibli l’action organique des solides, dès qu’il n’y a plus d’obstacle à la circulation, la partie engorgée peut se débarrasser facilement :

on peut aider l’action des vaisseaux par des fomentations avec le vin aromatique ou l’eau-de-vie camphrée. Mais si l’action organique du tissu cellulaire est entierement éteinte, on ne doit plus espérer de dégorgement par la résolution ; il ne se peut faire que par la suppuration ; & dans ce cas, la suppuration même ne peut se faire que par la pourriture. Or il est extrèmement dangereux d’attendre qu’une suppuration putride s’ouvre elle-même une voie, parce qu’elle fait un grand progrès dans la partie avant que d’avoir fourni à l’extérieur une issue suffisante aux sucs arrêtés & aux tissus cellulaires tombés en mortification. Il faut donc hâter ce dégorgement par des scarifications qui penetrent le tissu des parties, & qu’elles soient assez étendues, pour emporter facilement par lambeaux ce tissu, dès que la suppuration commencera à la corrompre & à la détacher. On peut favoriser ce commencement de pourriture par les suppuratifs & digestifs ; mais à mesure qu’ils produiront leur effet, il faut que le chirurgien soit attentif à emporter tout le tissu qui commencera à s’attendrir par la pourriture, & à pouvoir être détaché facilement. On voit bien qu’on procure ici la pourriture des débris du tissu cellulaire, pour prévenir celle de toute la partie. C’est un mal qui sert de remede ; on fait usage de la pourriture pour en prévenir les mauvaises suites. Lorsqu’on aura à-peu-près toutes les graisses que la suppuration devoit détruire, on se sert de digestifs moins pourrissans ; on les anime par le mélange de substances balsamiques & antiputrides, telles que l’onguent de stirax, le camphre, l’esprit de térébenthine, &c. On travaille ensuite à déterger l’ulcere. Voyez Détersif.

Si la mortification avoit fait des progrès irréparables, & que tout le membre en fût attaqué, cet état connu sous le nom de sphacele, exige l’amputation. Voyez Sphacele & Amputation.

L’infiltration des humeurs cause la gangrene en suffoquant le principe vital par la gêne de la circulation, le sang épanché dans les cellules du tissu adipeux à l’occasion de la plaie d’une veine ou d’une artere, occasionne par sa masse une compression sur les vaisseaux qui intercepte le cours du sang. Cela arrive principalement dans l’anevrysme faux, si l’on n’a pas recours assez promptement aux moyens que l’art indique. Voyez Anevrysme. La collection de lymphe sereuse dans les œdemes des cuisses, des jambes & du scrotum, attire la gangrene sur ces parties, en les macérant, & y éteignant insensiblement le principe vital : quelquefois cette eau devient acrimonieuse. Le pannicule adipeux considérablement distendu se corrompt facilement, sur-tout lorsque l’air a quelque accès dans la partie à l’occasion de scarifications faites imprudemment pour l’évacuation des humeurs infiltrées. Il faut se contenter de trois legeres mouchetures qui n’intéressent que l’épiderme ; on applique des compresses avec l’eau de chaux qui est un excellent antiseptique ; la matiere s’évacue, la partie reprend son ressort, & l’on ne craint point la gangrene. Lorsque par quelque occasion que ce soit, la gangrene survient aux œdemes, ce n’est point la croûte gangréneuse qu’il faut scarifier. On fera sur la partie les legeres mouchetures que je viens d’indiquer pour la cure radicale de la maladie, & l’on aura recours aux cataplasmes faits avec les farines résolutives cuites dans l’oximel, ou avec ces farines & les poudres de plantes aromatiques cuites dans du vin. Ces cataplasmes conservent plus la chaleur qu’on leur donne que de simples fomentations, & il faut les étendre fort épais. Ils se refroidissent facilement par l’écoulement de l’humeur qui forme l’œdeme ; aussi recommande-t-on bien dans ces cas d’entretenir la chaleur des médi-