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queur séminale qui distille continuellement sur la matrice & la pénetre, & qui y est même aussi portée par les trompes ensuite de leur érection, dans les circonstances propres à l’exciter. Les molécules organiques forment dans ces différens réservoirs la liqueur prolifique, qui dans l’un & l’autre sexe est, comme l’on voit, une espece d’extrait de toutes les parties du corps ; ensorte que la liqueur séminale du mâle répandue dans le vagin, & celle de la femelle répandue dans la matrice, sont deux matieres également actives, également chargées de molécules organiques propres à la génération : ces deux liqueurs ont entre elles une analogie parfaite ; puisqu’elles sont composées toutes les deux de parties non-seulement similaires par leur forme, mais encore absolument semblables dans leur mouvement & dans leur action : ainsi par le mélange des deux liqueurs séminales, cette activité des molécules organiques de chacune des liqueurs, est comme fixée par l’action contre-balancée de l’une & de l’autre ; de maniere que chaque molécule organique venant à cesser de se mouvoir, reste à la place qui lui convient ; & cette place ne peut être que celle de la partie qu’elle occupoit auparavant dans le moule intérieur de l’animal, ou plûtôt dont elle a été renvoyée avec les dispositions propres à entrer dans la composition de cette partie : ainsi toutes les molécules qui auront été renvoyées de la tête de l’animal, se disposeront & se fixeront dans un ordre semblable à celui dans lequel elles ont en effet été renvoyées ; & il en est de même de toutes les autres parties du corps : par conséquent cette nouvelle disposition des molécules organiques formera nécessairement par leur réunion un petit être organisé semblable en tout à l’animal dont elles sont l’extrait.

On doit observer, continue notre naturaliste, que ce mélange des molécules organiques des deux individus mâle & femelle, contient des parties semblables & des parties différentes. Les parties semblables sont les molécules qui ont été extraites de toutes les parties communes aux deux sexes ; les parties différentes ne sont que celles qui ont été extraites des parties par lesquelles les mâles different des femelles. Ainsi il y a dans ce mélange le double des molécules organiques pour former, par ex. la tête ou le cœur ; ou telle autre partie commune dans les deux individus ; au lieu qu’il n’y a que ce qu’il faut pour former les parties du sexe. Or les parties semblables peuvent agir les unes sur les autres, sans se déranger, & se rassembler comme si elles avoient été extraites du même corps : mais les parties dissemblables ne peuvent agir les unes sur les autres ni se mêler intimement, parce qu’elles ne sont pas semblables. Dès-lors ces parties seules conserveront leur nature sans mélange, & se fixeront d’elles mêmes les premieres, sans avoir besoin d’être pénétrées par les autres ; & toutes celles qui sont communes aux deux individus se fixeront ensuite indifféremment & indistinctement, soit celles du mâle, soit celles de la femelle ; ce qui formera un être organisé, qui par les parties sexuelles ressemblera parfaitement à son pere si c’est un mâle, & à sa mere si c’est une femelle ; mais qui, à l’égard des autres parties du corps, pourra ressembler à l’un ou à l’autre, ou à tous les deux, par le mélange plus ou moins dominant des molécules organiques qui proviennent de l’un ou de l’autre individu.

Il suit de tout ce qui vient d’être dit, que les mêmes molécules qui sont destinées à la nutrition & au développement du corps animal, servent aussi à la reproduction ; que l’une & l’autre s’operent par la même matiere & par les mêmes lois : se nourrir, se développer, & se reproduire, sont donc les effets d’une seule & même cause. Le corps organisé se nourrit par les parties organiques des alimens qui lui sont analogues ;

il se développe par la susception intime des molécules organiques qui lui conviennent ; & il se reproduit parce qu’il contient un superflu de ces mêmes parties organiques qui lui ressemblent, en ressemblant à celles qui forment les organes dont il est composé.

Tel est le précis du système de M. de Buffon, qui présente autant de difficultés dans toutes ses parties, qu’il fournit de preuves du génie & de la sagacité de son auteur. En effet, peut-on bien concevoir & conçoit-il bien lui-même ce que sont les molécules organiques sans organisation ; des parties vivantes, sans la condition essentielle qui peut seule rendre la matiere susceptible des effets auxquels on a attaché l’idée de la vie ? Peut-on aisément se rendre raison pourquoi les molécules organiques superflues par rapport à la nutrition & au développement, & destinées à la reproduction, après avoir néanmoins pénétré comme les autres dans le moule intérieur, par la force attractive, n’y sont pas retenues par cette même force, à l’égard de laquelle on ne voit rien qui doive en suspendre l’effet ? pourquoi & comment elles acquierent la liberté d’être portées dans les réservoirs ? Si tous les matériaux qui doivent servir à la construction d’un nouvel animal, se trouvent réunis dans les reservoirs de chacun des individus mâle & femelle ; pourquoi la formation d’un fétus ne se fait-elle pas dans le corps du mâle & dans celui de la femelle, indépendamment l’un de l’autre, comme cette formation se fait dans les animaux qui ont les deux sexes dans chaque individu, tels que les limaçons ? ce qui exclut le point d’appui fourni par les molécules organiques provenues des parties sexuelles ? Peut-on se contenter de la solution que donne l’auteur à cette difficulté, après avoir examiné bien des réponses qu’il ne trouve pas satisfaisantes ? suffit-il de dire avec lui, que c’est uniquement faute d’organes, de local propre à la formation, à l’accroissement du fétus, que le mâle ne produit rien par sa propre vertu ? Mais s’il s’est formé des fétus dans les petites bulles des testicules des femelles que l’on a prises pour des œufs, pourquoi ne s’en pourroit-il pas former dans les vésicules séminales des mâles, qui ont bien plus de capacité que ces bulles ? D’ailleurs, pour faire sentir en un mot l’insuffisance de cette solution ; pourquoi les femelles qui ont tous les organes nécessaires pour servir de local à l’œuvre de la reproduction, ne se suffisent-elles pas à elles-mêmes, au moins pour former d’autres individus de même sexe, sans le concours de la liqueur séminale des mâles ? M. de Buffon paroît porté à croire que chaque liqueur séminale, soit du mâle soit de la femelle, peut seule produire quelque chose d’organisé : pourquoi ne peut-elle pas produire un animal parfait ? Mais en admettant même que les molécules organiques dissemblables fournies par les parties sexuelles, puissent former un centre de réunion pour les parties semblables ; pourquoi le mélange des liqueurs séminales des deux sexes ne produit-il pas toûjours la formation d’un mâle & d’une femelle en même tems ; puisqu’il se trouve toûjours dans ce mélange des matériaux suffisans au-moins pour la reproduction d’un individu de chacun des sexes ?

Mais si la formation du fétus se fait par la réunion des molécules organiques, dans le même ordre que celui des parties d’où elles ont été renvoyées, quelles seront les parties organiques destinées à former le placenta & la double membrane qui forme la double enveloppe du fétus ? Il n’y a ni dans le mâle ni dans la femelle aucun moule intérieur qui ait pû préparer les matériaux de ces organes accessoires ; il n’y en a aucun par conséquent qui ait renvoyé dans les reservoirs des matériaux propres à former ces organes particuliers & à déterminer l’ordre dans lequel