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entre la France, l’Italie & l’Allemagne, la rendent industrieuse, riche & commerçante. Elle a plusieurs beaux édifices & des promenades agréables ; les rues sont éclairées la nuit, & on a construit sur le Rhone une machine à pompes fort simple, qui fournit de l’eau jusqu’aux quartiers les plus élevés, à cent piés de haut. Le lac est d’environ dix-huit lieues de long, & de quatre à cinq dans sa plus grande largeur. C’est une espece de petite mer qui a ses tempêtes, & qui produit d’autres phénomenes curieux. Voyez Trombe, Seiche, &c. & l’hist. de l’acad. des Sciences des années 1741 & 1742. La latitude de Geneve est de 46d. 12′. sa longitude de 23d. 45′.

Jules César parle de Genève comme d’une ville des Allobroges, alors province romaine ; il y vint pour s’opposer au passage des Helvétiens, qu’on a depuis appellés Suisses. Dès que le Christianisme fut introduit dans cette ville, elle devint un siége épiscopal, suffragant de Vienne. Au commencement du v. siecle, l’empereur Honorius la céda aux Bourguignons, qui en furent dépossédés en 534 par les rois francs. Lorsque Charlemagne, sur la fin du jx. siecle, alla combattre le roi des Lombards & délivrer le pape (qui l’en récompensa bien par la couronne impériale), ce prince passa à Genève, & en fit le rendez-vous général de son armée. Cette ville fut ensuite annexée par héritage à l’empire germanique, & Conrad y vint prendre la couronne impériale en 1034. Mais les empereurs ses successeurs occupés d’affaires très-importantes, que leur susciterent les papes pendant plus de 300 ans, ayant négligé d’avoir les yeux sur cette ville, elle secoüa insensiblement le joug, & devint une ville impériale qui eut son évêque pour prince, ou plûtôt pour seigneur, car l’autorité de l’évêque étoit tempérée par celle des citoyens. Les armoiries qu’elle prit dès-lors exprimoient cette constitution mixte ; c’étoit une aigle impériale d’un côté, & de l’autre une clé représentant le pouvoir de l’Eglise, avec cette devise, post tenebras lux. La ville de Genève a conservé ces armes après avoir renoncé à l’église romaine, elle n’a plus de commun avec la papauté que les clés qu’elle porte dans son écusson ; il est même assez singulier qu’elle les ait conservées, après avoir brisé avec une espece de superstition tous les liens qui pouvoient l’attacher à Rome ; elle a pensé apparemment que la devise post tenebras lux, qui exprime parfaitement, à ce qu’elle croit, son état actuel par rapport à la religion, lui permettoit de ne rien changer au reste de ses armoiries.

Les ducs de Savoie voisins de Genève, appuyés quelquefois par les évêques, firent insensiblement & à différentes reprises des efforts pour établir leur autorité dans cette ville ; mais elle y résista avec courage, soûtenue de l’alliance de Fribourg & de celle de Berne : ce fut alors, c’est-à-dire vers 1526, que le conseil des deux-cents fut établi. Les opinions de Luther & de Zuingle commençoient à s’introduire ; Berne les avoit adoptées ; Genève les goûtoit, elle les admit enfin en 1635 ; la papauté fut abolie ; & l’évêque qui prend toûjours le titre d’évêque de Genève sans y avoir plus de jurisdiction que l’évêque de Babylone n’en a dans son diocese, est résident à Annecy depuis ce tems-là.

On voit encore entre les deux portes de l’hôtel-de-ville de Genève, une inscription latine en mémoire de l’abolition de la religion catholique. Le pape y est appellé l’antechrist ; cette expression que le fanatisme de la liberté & de la nouveauté s’est permise dans un siecle encore à demi-barbare, nous paroît peu digne aujourd’hui d’une ville aussi philosophe. Nous osons l’inviter à substituer à ce monument injurieux & grossier, une inscription plus vraie, plus noble, & plus simple. Pour les Catholiques, le pape est le chef de la véritable église ; pour les Protestans sages

& modérés, c’est un souverain qu’ils respectent comme prince sans lui obéir : mais dans un siecle tel que le nôtre, il n’est plus l’antechrist pour personne.

Genève pour défendre sa liberté contre les entreprises des ducs de Savoie & de ses évêques, se fortifia encore de l’alliance de Zurich, & sur-tout de celle de la France. Ce fut avec ces secours qu’elle résista aux armes de Charles Emmanuel & aux thrésors de Philippe II. prince dont l’ambition, le despotisme, la cruauté & la superstition, assûrent à sa mémoire l’exécration de la postérité. Henri IV. qui avoit secouru Genève de 300 soldats, eut bien-tôt après besoin lui-même de ses secours ; elle ne lui fut pas inutile dans le tems de la ligue & dans d’autres occasions : de-là sont venus les priviléges dont les Génevois joüissent en France comme les Suisses.

Ces peuples voulant donner de la célébrité à leur ville, y appellerent Calvin, qui joüissoit avec justice d’une grande réputation, homme de lettres du premier ordre, écrivant en latin aussi-bien qu’on le peut faire dans une langue morte, & en françois avec une pureté singuliere pour son tems ; cette pureté que nos habiles grammairiens admirent encore aujourd’hui, rend ses écrits bien supérieurs à presque tous ceux du même siecle, comme les ouvrages de MM. de Port-Royal se distinguent encore aujourd’hui par la même raison, des rapsodies barbares de leurs adversaires & de leurs contemporains. Calvin jurisconsulte habile & théologien aussi éclairé qu’un hérétique le peut être, dressa de concert avec les magistrats, un recueil de lois civiles & ecclésiastiques, qui fut approuvé en 1543 par le peuple, & qui est devenu le code fondamental de la république. Le superflu des biens ecclésiastiques qui servoient avant la réforme à nourrir le luxe des évêques & de leurs subalternes, fut appliqué à la fondation d’un hôpital, d’un collége & d’une académie : mais les guerres que Genève eut à soûtenir pendant près de soixante ans, empêcherent les Arts & le Commerce d’y fleurir autant que les Sciences. Enfin le mauvais succès de l’escalade tentée en 1602 par le duc de Savoie, a été l’époque de la tranquillité de cette république. Les Génevois repousserent leurs ennemis qui les avoient attaqués par surprise ; & pour dégoûter le duc de Savoie d’entreprises semblables, ils firent pendre treize des principaux généraux ennemis. Ils crurent pouvoir traiter comme des voleurs de grand-chemin, des hommes qui avoient attaqué leur ville sans déclaration de guerre : car cette politique singuliere & nouvelle, qui consiste à faire la guerre sans l’avoir déclarée, n’étoit pas encore connue en Europe, & eût-elle été pratiquée dès-lors par les grands états, elle est trop préjudiciable aux petits, pour qu’elle puisse jamais être de leur goût.

Le duc Charles Emmanuel se voyant repoussé & ses généraux pendus, renonça à s’emparer de Genève. Son exemple servit de leçon à ses successeurs ; & depuis ce tems, cette ville n’a cessé de se peupler, de s’enrichir & de s’embellir dans le sein de la paix. Quelques dissensions intestines, dont la derniere a éclaté en 1738, ont de tems en tems altéré legerement la tranquillité de la république ; mais tout a été heureusement pacifié par la médiation de la France & des Cantons confédérés ; & la sûreté est aujourd’hui établie au-dehors plus fortement que jamais, par deux nouveaux traités, l’un avec la France en 1749, l’autre avec le roi de Sardaigne en 1754.

C’est une chose très-singuliere, qu’une ville qui compte à peine 24000 ames, & dont le territoire morcelé ne contient pas trente villages, ne laisse pas d’être un état souverain, & une des villes les plus florissantes de l’Europe : riche par sa liberté & par son commerce, elle voit souvent autour d’elle tout en feu sans jamais s’en ressentir ; les évenemens