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cas de le punir. Il y auroit de l’imprudence à le punir souvent. Il n’est pas loin du tems où la crainte des punitions n’aura plus lieu ; il est capable de motifs plus nobles ; c’est donc par d’autres liens qu’il faut le retenir.

Quelque faute qu’il ait faite, & quelque chose que vous ayez à lui dire, parlez-lui s’il le faut avec force ; ne lui parlez jamais avec impolitesse. Vous n’auriez raison qu’à demi, si vous ne l’aviez pas dans la forme. Rien ne peut vous autoriser à lui donner un mauvais exemple ; & vous ne devez pas l’accoûtumer à entendre des paroles dures.

S’il est vif, reprenez-le avec prudence ; dans ses momens de vivacité il ne seroit pas en état de vous entendre, & vous l’exposeriez à vous manquer. Il y a moins d’inconvénient à ne pas reprendre, qu’à reprendre mal-à-propos.

Ne soyez point minucieux. Il y a de la petitesse d’esprit à insister sur des bagatelles, & c’est mettre trop peu de différence entre elles & les choses graves.

Il y a des choses graves sur lesquelles vous serez obligé de revenir souvent : tâchez de n’en avoir pas l’air. Que vos leçons soient indirectes, on sera moins en garde contr’elles. Il y a mille façons de les amener & de les déguiser. Faites-lui remarquer dans les autres les défauts qui seront en lui, il ne manquera pas de les condamner ; ramenez-le sur lui-même. Instruisez-le aux dépens d’autrui. Faites quelquefois l’application des exemples que vous lui citerez ; plus souvent laissez-la lui faire. Raisonnez quelquefois : d’autres fois une plaisanterie suffit. Attaquez par l’honneur & par la raison ce que l’honneur & la raison pourront détruire ; attaquez par le ridicule ce que vous sentirez qui leur résiste.

Abaissez sa hauteur s’il en a : mortifiez sa vanité, mais n’humiliez pas son amour-propre. Ce n’est pas en avilissant les hommes qu’on les corrige : c’est en élevant leur ame, & en leur montrant le degré de perfection dont ils sont capables.

Ménagez sur-tout son amour propre en public. Il sera d’autant plus sensible à cette marque d’attention, qu’il verra les autres gouverneurs ne l’avoir pas toûjours pour leurs éleves. A l’égard des choses loüables qu’il pourra faire, loüez-les publiquement. Faites-le valoir dans les petites choses, afin de l’encourager à en faire de meilleures.

Si vous trouvez dans votre éleve un de ces naturels heureux qui n’ont besoin que de culture, vous aurez du plaisir à la lui donner. S’il est au contraire de ces esprits gauches & ineptes qui ne conçoivent rien, ou qui entendent de travers, de ces ames molles & stériles, incapables de sentiment, & qui se laissent aller indistinctement à toutes les impressions qu’on veut leur donner, que je vous plains !

Instruisez-le à la maniere de Socrate. Causez avec lui familierement sur le vrai, sur le faux, sur le bien & sur le mal, sur les vertus & sur les vices. Faites-le plus parler que vous ne lui parlerez. Amenez-le par vos questions, & de conséquence en conséquence, à s’appercevoir lui-même de ce qu’il y a de défectueux dans sa façon de penser. Accoutumez-le à ne point porter un jugement sans être en état de l’appuyer par des raisons. Fortifiez les principes qu’il a : donnez-lui ceux qui lui manquent.

Les premiers de tous & les plus négligés, sont ceux de la religion. En entrant dans le monde, un jeune homme la connoît à peine par son cathéchisme & par quelques pratiques extérieures. Il la voit combattue de toutes parts : il suit le torrent. Soit dans les entretiens que vous aurez ensemble, soit par les lectures auxquelles vous l’engagerez, faites ensorte qu’il la connoisse par l’histoire & par les prouves. On donne aux jeunes gens des maîtres de

toute espece ; on devroit bien leur donner un maître de religion. On les mettroit en état de la défendre, au-moins dans leur cœur.

L’homme du peuple est contenu par la crainte des lois ; l’homme d’un état moyen l’est par l’opinion publique. Le grand peut éluder les lois, & n’est que trop porté à se mettre au-dessus de l’opinion publique. Quel frein le retiendra, si ce n’est la religion ? Faites-lui en remplir les devoirs, mais ne l’en excédez pas. Montrez-la-lui par tout ce qu’elle a de respectable ; il n’y a que les passions qui puissent empêcher de reconnoître la grandeur & la beauté de sa morale. Elle seule peut nous consoler dans les maladies, dans les adversités ; les grands n’en sont pas plus exempts que le reste des hommes.

Faites valoir à ses yeux les moindres choses que font pour lui ses parens. Qu’il soit bien convaincu qu’il n’a qu’eux dans le monde pour amis véritables. S’ils sont trop dissipés pour s’occuper de lui comme ils le devroient, tâchez qu’il ne s’en apperçoive pas. S’il s’en apperçoit, effacez l’impression qu’il en peut recevoir. Quelle que soit leur humeur, c’est à lui de s’y conformer, non à eux de se plier à la sienne. Dans l’enfance, les parens ne sont pas assez attentifs à se faire craindre, & dans la jeunesse ils s’occupent trop peu de se faire aimer. Voilà une des principales sources des chagrins qu’ils éprouvent, des déréglemens de la jeunesse, & des maux qui affligent la société. Si un pere, après avoir élevé son fils dans la plus étroite soûmission, lui laissoit voir sa tendresse à mesure que la raison du jeune homme se developpe, enchaîné par le respect & par l’amour, quel est celui qui oseroit s’échapper ? Quel que soit un pere à l’extérieur, si les jeunes gens pouvoient lire dans son cœur toute la joie qu’il éprouve quand son fils fait quelque chose de loüable, & toute la douleur dont il est pénétré quand ce fils s’écarte du chemin de l’honneur, ils seroient plus attentifs qu’ils ne le sont à se bien conduire. Par malheur, on ne conçoit l’étendue de ces sentimens que quand on est pere. Faites envisager à votre éleve qu’il le doit être un jour.

Cultivez à tous égards la sensibilité de son ame. Avec une ame sensible on peut avoir des foiblesses, on est rarement vicieux. Soyez rempli d’attentions pour lui, vous le forcerez d’en avoir pour vous ; vous l’en rendrez capable par rapport à tout le monde. Accoûtumez-le à remplir tous les petits devoirs qu’imposent aux ames bien nées la tendresse ou l’amitié. Les négliger, c’est être incapable des sentimens qui les inspirent. On a beau s’en excuser sur l’oubli ; cette excuse est fausse & honteuse. L’esprit n’oublie jamais quand le cœur est attentif.

S’il étoit pardonnable à quelqu’un d’être peu citoyen, ce seroit à un particulier ; perdu dans la foule, il n’est rien dans l’état : il n’en est pas de même d’un homme de qualité ; il doit être plein d’amour pour son roi, puisqu’il a l’honneur de l’approcher de plus près ; il doit s’intéresser à la gloire & au bonheur de sa patrie, puisqu’il peut y contribuer : rien dans l’état ne lui doit être indifférent, puisqu’il peut y influer sur tout.

Qu’il sache qu’on n’est grand, ni pour avoir des ancêtres illustres, quand on ne leur ressemble pas ; ni pour occuper de grands emplois, quand on les remplit mal ; ni pour posséder de grands domaines, quand on les consume en dépenses folles & honteuses ; ni pour avoir un nombreux domestique, de brillans équipages, des habits somptueux, quand on fait languir à sa porte le marchand & l’ouvrier : qu’en un mot on n’est grand & qu’on ne peut être heureux que par des vertus personnelles, & par le bien qu’on fait aux hommes.

Attachez-vous sur-tout à lui donner des idées de