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sources sont fort bornées & peu assûrées, & elles ne peuvent suffire qu’à de petits états.

Observations sur la taille levée sur la culture des grains. On ne doit imposer les fermiers à la taille qu’avec beaucoup de retenue sur le profit des bestiaux, parce que ce sont les bestiaux qui sont produire les terres : mais sans étendre la taille sur cette partie ; elle pourroit par l’accroissement des revenus monter à une imposition égale à la moitié du prix du fermage : ainsi en se conformant aux revenus des propriétaires des terres qui seroient de quatre cents millions, la taille ainsi augmentée & bornée-là pour toute imposition sur les fermages, produiroit environ 200 millions, & cela non compris celle qui est imposée sur les rentiers & propriétaires taillables, sur les maisons, sur les vignes, sur les bois taillables, sur le fermage particulier des prés, sur les voituriers, sur les marchands, sur les paysans, sur les artisans, manouvriers, &c.

Sur les 200 millions de taille que produiroit la culture des grains, il faut en retrancher environ pour l’exemption des nobles & privilégiés, qui font valoir par eux-mêmes la quantité de terres permise par les ordonnances, ainsi il resteroit 190 millions ; mais il faut ajoûter la taille des fermiers des dixmes, qui étant réunies à ces 190 millions, formeroit au moins pour la total de la taille 200 millions.[1]

La proportion de la taille avec le loyer des terres, est la regle la plus sûre pour l’imposition sur les fermiers, & pour les garantir des inconvéniens de l’imposition arbitraire ; le propriétaire & le fermier connoissent chacun leur objet, & leurs intérêts reciproques fixeroient au juste les droits du roi.[2]

Il seroit bien à desirer qu’on pût trouver une regle aussi sûre pour l’imposition des métayers. Mais si la culture se rétablissoit, le nombre des fermiers augmenteroit de plus en plus, celui des métayers diminueroit à proportion : or une des conditions essentielles pour le rétablissement de la culture & l’augmentation des fermiers, est de reformer les abus de la taille arbitraire, & d’assûrer aux cultivateurs les fonds qu’ils avancent pour la culture des terres. On doit sur-tout s’attacher à garantir les fermiers, comme étant les plus utiles à l’état, des dangers de cette imposition. Aussi éprouve-t-on que les desordres de la taille sont moins destructifs dans les villes taillables que dans les campagnes ; parce que les campagnes produisent les revenus, & que ce qui détruit les revenus détruit le royaume. L’état des habitans des villes est établi sur les revenus, & les villes ne sont peuplées qu’à proportion des revenus des provinces. Il est donc essentiel d’assujettir dans les campagnes l’imposition de la taille à une regle sure & invariable, afin de multiplier les riches fermiers, & de diminuer de plus en plus le nombre des colons indigens, qui ne cultivent la terre qu’au desavantage de l’état.

Cependant on doit appercevoir que dans l’état actuel de la grande & de la petite culture, il est difficile de se conformer d’abord à ces regles ; c’est pourquoi nous avons pour la sûreté de l’imposition proposé d’autres moyens à l’article Fermier : mais dans la suite le produit du blé ou le loyer des terres fourniroient la regle la plus simple & la plus convenable pour l’imposition proportionnelle de la taille sur les cultivateurs. Dans l’état présent de l’agriculture, un arpent de terre traité par la grande culture produisant 74 livres, ne peut donner qu’environ du produit total du prix du blé pour la taille. Un arpent traité par la petite culture produisant 24 liv. donne pour la taille . Un arpent qui seroit traité par la bonne culture, les autres conditions posées, produisant 1061. donneroit pour la taille environ  ; ainsi par la seule différence des cultures, un arpent de terre de même valeur produiroit ici pour la taille 10 liv. là il produit 3 liv. 10 s. ailleurs il ne produit qu’une livre. On ne peut donc établir pour la taille aucune taxe fixe sur les terres dont le produit est si susceptible de variations par ces différentes cultures ; on ne peut pas non plus imposer la taille proportionnellement au produit total de la recolte, sans avoir égard aux frais & à la différence de la quantité de semence, relativement au profit, selon les différentes cultures : ainsi ceux qui ont propose une dixme pour la taille[3], & ceux qui ont proposé une taille

  1. Nous ne supposons ici qu’environ 10 millions de taille sur les fermiers des dixmes, mais le produit des dixmes n’étant point chargé des frais de culture il est susceptible d’une plus forte taxe : ainsi la dixme qui est affermée, c’est à-dire qui n’est pas réunie aux cures, pouvant monter à plus de 100 millions par le rétablissement, leur culture pourroit avec justice être imposée à plus de 20 millions de taille. En effet, elle ne seroit pas, dans ce cas même, proportionnée à celle des cultivateurs ; & ceux qui affermeroient leurs dixmes, profiteroient encore beaucoup sur le rétablissement de notre culture.
  2. Peut-être que la taille égale à la moitié du fermage paroîtra forcée, & cela peut être vrai en effet ; mais au moins cette taille étant fixée, les fermiers s’y conformeroient en affermant les terres. Voilà l’avantage d’une taille qui seroit fixée : elle ne seroit point ruineuse, parce qu’elle seroit prévûe par les fermiers ; au lieu que la taille arbitraire peut les ruiner, étant sujets à des augmentations successives pendant la durée des baux, & ils ne peuvent éviter leur perte par aucun arrangement sur le prix du fermage. Mais toutes les fois que le fermier connoîtra par le prix du bail la taille qu’il doit payer, il ne laissera point tomber sur lui cette imposition, ainsi elle ne pourra pas nuire à la culture ; elle sera prise sur le produit de la ferme, & la partie du revenu dû propriétaire en sera meilleure & plus assûrée ; parce que la taille n’apportera point d’obstacle à la culture de son bien ; au contraire, la taille imposée sans regle sur le fermier, rend l’état de celui-ci incertain ; son gain est limité par ses arrangemens avec le propriétaire, il ne peut se prêter aux variations de cette imposition : si elle devient trop forte, il ne peut plus faire les frais de la culture, & le bien est dégradé. Il faut toûjours que l’imposition porte sur le fonds, & jamais sur la culture ; & qu’elle ne porte sur le fonds que relativement à sa valeur & à l’état de la culture, & c’est le fermage qui en décide.

    On peut soupçonner que la taille proportionnelle aux baux pourroit occasionner quelqu’intelligence frauduleuse entre les propriétaires & les fermiers, dans l’exposé du prix du fermage dans les baux ; mais la sûreté du propriétaire exigeroit quelque clause, ou quelqu’acte particulier inusité & suspect qu’il faudroit défendre : telle seroit, par exemple, une reconnoissance d’argent prêté par le propriétaire au fermier. Or comme il est très-rare que les propriétaires prêtent d’abord de l’argent à leurs fermiers, cet acte seroit trop suspect, surtout si la date étoit dès les premiers tems du bail, ou si l’acte n’étoit qu’un billet sous seing privé. En ne permettant point de telles conventions, on exclueroit la fraude. Mais on pourroit admettre les actes qui surviendroient trois ou quatre ans après le commencement du bail, s’ils étoient passés pardevant notaire, & s’ils ne changeoient rien aux clauses du bail ; car ces actes postérieurs ne pourroient pas servir à des arrangemens frauduleux à l’égard du prix du fermage, & ils peuvent devenir nécessaires entre le propriétaire & le fermier, à cause des accidens qui quelquefois arrivent aux bestiaux ou aux moissons pendant la durée d’un bail, & qui engageroient un propriétaire à secourir son fermier. L’argent avancé sous la forme de pot-de-vin par le fermier, en diminution du prix du bail, est une fraude qu’on peut reconnoître par le trop bas prix du fermage, par comparaison avec le prix des autres terres du pays. S’il y avoit une différence trop marquée, il faudroit anéantir le bail, & exclure le fermier.

  3. On a vû par les produits des différentes cultures, que la taille convertie en dixme sur la culture faite avec le bœufs, monteroit à plus des deux tiers du revenu des propriétaires. D’ailleurs la taille ne peut pas être fixée à-demeure sur le revenu actuel de cette culture, parce que les terres ne produisant pas les revenus qu’elles donneroient lorsqu’elles seroient mieux cultivées, il arriveroit qu’elles se trouveroient taxées sept ou huit fois moins que celles qui seroient actuellement en pleine valeur.

    Dans l’état actuel de la grande culture, les terres produisent davantage ; mais elles donnent la moitié moins de revenu qu’on n’en retireroit dans le cas de la liberté du commerce des grains. Dans l’état présent, la dixme est égale à la moitié du fermage, la taille convertie en dixme seroit encore fort onéreuse ; mais dans le cas d’exportation, les terres donne-