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Il faut encore de la patience sans froideur, de l’assiduité sans dégoût, de l’exactitude qui ne soit pas servile, de la facilité sans abus : ces qualités si nombreuses enfantent beaucoup de graveurs, & leur union si difficile fait qu’il en est fort peu d’excellens. Article de M. Watelet.

* Gravure en bois. Historique. Cette gravure est fort ancienne à la Chine & aux Indes, où l’on a fabriqué des toiles peintes de tems immémorial ; elle paroît y avoir donné naissance aux premiers essais de l’art d’imprimer. Les Chinois ont d’abord gravé leurs caracteres sur des morceaux de bois qu’ils enduisoient d’encre, & qu’ils appliquoient ensuite sur le satin & d’autres étoffes minces & legeres. Nous avions des tablettes gravées en creux, que nous remplissions de cire pour en avoir le relief, lorsque Laurent Coster imprima l’écriture avec des planches de bois. Coster inventa cet art en 1420. Mensel parut en 1440, Guttenberg & ses associés en 1450 ; & la gravure, tant en bois qu’en cuivre, étoit connue en 1460. Il y en a encore qui prétendent qu’André Murano gravoit en cuivre dès 1412, & Luprecht Rust dès 1450 ; mais il est certain que Martin Schon de Colmar, l’un des maîtres d’Albert Durer, exerça cet art en 1460, ou au plus tard en 1470.

Les Graveurs en bois ont été appellés anciennement Tailleurs en bois, ce qui les a quelquefois confondus avec les Dominotiers. Il en faut faire deux classes ; l’une, des vieux, anciens, ou petits maîtres, ou maîtres appellés à la licorne, à l’étoile, aux pelles, aux chandeliers, à la dague, &c. de ces images qui accompagnoient sur leurs planches les initiales de leurs noms : l’autre, des grands maîtres, tels qu’Albert Altorsfer né en Suisse, qui travailloit en 1500 ; Sebald Beham ou de Boheme, Hans Scufelix, Albert Durer pere du peintre, Jean de Gourmont, Antoine de Cremone, George-Matthieu de Lyon, Antoine Van-Leest, Joseph Porta, Gorsannus, Gaspard Ruina, Joseph Salviati, Pierre Gatin, André Manteigne, Albert Durer le peintre, Lucas de Cronach, Albert Aldegraf, Lucas de Leide, Lucas Ciamberlanus, Jollar, &c. On remarque dans les gravures d’Albert Durer, des contre-tailles, des secondes, triples & quadruples tailles.

Ce fut en 1490 que parurent les premieres estampes à rentrées de deux planches, ou teintes ; art qui se perfectionna en Italie en 1520. Voyez Gravure en bois, de Camayeu.

Ce fut au commencement du xvj. siecle qu’on appliqua la gravure en bois à l’impression des cartes à joüer. Le Titien a gravé lui-même en bois quelques-uns de ses tableaux. Tout le monde connoît de nom la danse des morts de Holbein. La gravure en bois s’étendit à la Cosmographie, & Gérard Mercator exécuta en bois quelques-unes de ses cartes. Cet art fut encore cultivé par Jost Amman ou Amman de Zuric ; Jacques Zuberlin de Tubingue ; Pierre Hook ou Houck Woveriot de Lorraine ; Jean de Colcar ou Calker, qui grava en bois les planches anatomiques de Vesale ; Jean Cousin, Bernard Salomon, Moni ; Fo, qui a gravé en bois des animaux pour Conrard Gesner ; le vénitien Pagan, Michel Zimmerman, le Verrochio, Enée Bé, Sigismond Feyerabendts, Christophe Amberger, Simon Huter, Virgilius Solis ; Christophe Chrieger, dont on a une planche de la bataille de Lépante ; Christophe dit le Suisse ; Verdizzotti, Cruche, les trois Vichem. On voit dans les ouvrages de C. S. Vichem jusqu’à cinq à six tailles l’une sur l’autre ; il entendoit d’ailleurs très-bien le clair-obscur. Ce fut alors qu’on commença parmi nous à imprimer des papiers dominotés. Ce premier pas conduisit aux toiles peintes, dont les premieres parurent au commencement du

regne de Louis XIII. Il y eut alors & depuis des graveurs célebres ; Raefe, Goujeon, Jean Leclerc ; la carte des Gaules de celui-ci est un bel ouvrage : Vinceola, Berbrule, les deux Stimmers ; Ecmart, qui a exécuté plusieurs morceaux de Calot ; le libraire Guillaume le Bé, Duval, Christophe Jépher, qui a gravé d’après les tableaux de Rubens ; Pierre le Sueur, Boulemont, Van-Heylen ; Jean Papillon, pere de l’auteur des mémoires que nous analysons ; Vincent & Nicolas le Sueur, &c.

De l’Art. La gravure en bois devient très-difficile & très-pénible, lorsqu’on a des plantes, des fleurs, des animaux, des figures humaines, & autres objets délicats à exécuter. Une planche qui n’a occupé un graveur en cuivre que quatre à cinq jours, pourra occuper un mois entier un graveur en bois. Pour s’en convaincre, qu’on jette les yeux sur la fig. 10. Planche II. de la gravure en bois. Voilà quatre traits qui ne coûteront guere plus à faire au burin sur une planche de cuivre, qu’à la plume sur le papier ; mais s’il s’agit de les exécuter en bois, c’est autre chose. Il faut 1°. couper & recouper, & enlever le bois en A, B, C, D, fig. 11. ce qui demande seize coups de pointes ; & en suivant l’opération jusqu’au bout, on en trouvera quarante-huit, sans compter ceux sur lesquels on est obligé de revenir par accident, & les vingt-quatre coups nécessaires pour dégager fortement les traits de chaque côté. Voilà donc pour ces quatre traits soixante-douze coups de pointes ; nombre qui seroit encore fort augmenté, s’il falloit dégager & évuider avec le fermoir les pleins A, A, A, fig. 12. Les quatre traits de cette figure 12. sont blancs, & le creux du bois enlevé par la pointe est ombré. Si l’on sentoit le fermoir entraîné par le fil du bois du côté des traits, ils en pourroient être endommagés si l’on ne quittoit le fermoir, & si l’on ne revenoit pas sur ces endroits avec la pointe à graver. Lorsqu’on aura enlevé le bois de chaque côté entre les traits par le dégagement au fermoir, il restera peu de chose qu’on séparera avec la gouge aux lieux A, A, &c… en la passant & repassant plusieurs fois, afin de polir le fond de la gravure. Ces coups de fermoirs & de gouges sont au-moins doubles des coups de pointes ; mais si l’on vouloit, on pourroit démontrer à la rigueur que telle figure qui s’exécutera sur cuivre en 92 coups de burin, ne s’exécutera pas en bois à-moins de 10892 coups de pointes & de 3600 coups de fermoirs & de gouges. Il est vrai qu’en revanche une planche en bois peut fournir plusieurs milliers d’épreuves. Il y a donc entre la gravure en cuivre & en bois une grande différence pour le travail. Mais il ne faut pas ignorer que dans la gravure en bois, ce sont les tailles de relief ou d’épargne qui marquent l’impression, & que par conséquent contre un coup ou une coupe de burin qui forme un trait dans la gravure en cuivre, & marque à l’impression, il faut dans la premiere de ces gravures quatre coups pour enlever le bois de chaque côté du trait : ajoûtez à cela les dégagemens à la pointe & au fermoir ; & dans la préparation des champs à évuider, les coups de fermoir & de gouge qui sont nécessaires.

Des outils. Les outils du graveur en bois sont la pointe à graver, les fermoirs & gouges, le trusquin, l’entaille, le maillet, le racloir, l’équerre, les regles simples & paralleles, la fausse regle, le compas simple & à plusieurs pointes, les porte-crayons, un marteau leger, le garde-vûe, la mentonniere, la petite brosse, la presse à tremper le papier, une petite balle, une pierre à huile, une pierre douce, une meule de grais montée, un petit broyon, un marbre, un rouleau garni de drap, un étau, des scies à main, une varlope, un rabot, un valet, & un établi solide.