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Les anciens n’ont guere connu d’autres gravures que celles-là, si l’on y ajoûte celles qu’ils opéroient avec le fer brûlant.

Il faut pour la gravure en bois & de dépouille, donner la préférence au buis qui se polit mieux qu’aucun autre bois ; & la manœuvre principale consiste à faire ensorte que les parties creusées, quelles qu’elles soient, ne soient point coupées, soit perpendiculairement au plan de la planche, soit en-dessous. Il faut que les enfoncemens aillent en pente depuis leurs bords jusqu’à leurs fonds, & qu’ils n’ayent en général aucune gouttiere ni aucune saillie trop aiguë ; le relief qui en viendroit seroit desagréable, à-moins que l’objet représenté ne l’eût exigé.

Les parties creusées à deux, trois reprises, sont celles qui demandent le plus d’attention. L’écusson d’une armoirie, par exemple, étant creusé d’un demi-pouce de profondeur, comme nous l’avons prescrit ; si cet écusson a un surtout, on le fera de deux lignes plus profond que le reste, & les figures qu’il portera, d’une ligne ou d’une demi-ligne. Quant aux petites parties qui pourront se faire à la main, d’un seul coup de gouge ou de fermoir, il faudra les couper nettes jusqu’au fond.

On montera sur des manches les parties d’un ouvrage qui seront isolées, & qui se rapporteront dans l’usage les unes à côté des autres.

Si l’ouvrage & le manche étoient d’une piece, comme il arrive quelquefois, le graveur se trouveroit souvent dans le cas de travailler sur un bois debout, & de couper à contre-fil ; ce qui rendroit la gravure ingrate & mauvaise.

Dans ces cas on fera tourner le manche, & à l’extrémité du manche on pratiquera une entaille, dans laquelle on enchâssera une piece sur laquelle on gravera ; observant seulement que les bords de ces pieces ayent les contours nécessaires bien évidés, pour enlever les reliefs qu’on aura à en tirer.

On voit que si le graveur a à travailler sur un rouleau fait au tour, il y trouvera son avantage ; la forme lui donnant les ronds, quarts de ronds & autres bosses, qu’il auroit été obligé de tirer d’une surface plane.

Les pieces isolées demandent des doubles planches & des parties creusées à contredit les unes des autres ; il faut que les contours s’y correspondent avec beaucoup de précision, afin qu’appliquées l’une d’un côté, l’autre de l’autre, la pâte entre deux, le relief vienne comme on le desire. C’est la suite de l’exactitude des repaires, & de la parfaite ressemblance des deux morceaux gravés.

Gravure en bois d’une forte taille. C’est la même chose que la gravure ordinaire, avec cette différence qu’à celle-là les tailles sont plus grossieres : ce sont les mêmes manœuvres & les mêmes outils ; il faut seulement que les pointes soient plus épaisses, plus fortes de lames, & plus obliques à la premiere partie du chef. C’est en cette gravure que sont les planches de dominoterie, de papiers de tapisserie, les affiches, les moules de cartes, les planches des toiles peintes, les enseignes des marchands, les desseins de jupons, &c.

Gravure en bois matte & de relief. C’est un diminutif de la précédente. Les grosses lettres d’affiches, les masses de rentrées pour les camayeux, & les toiles peintes, sont gravées de cette maniere. Elle est à l’usage des Fondeurs : c’est par son moyen qu’ils obtiennent en creux la terre ou le sable où ils coulent les métaux. Le graveur doit observer en leur faveur de graver ses traits & contours un peu en talud ; ils en feront plus de dépouille, & le creux ne retiendra aucune partie du métal, quand il s’agira d’en retirer la piece. Les planches de cuivre & autres ouvrages obtenus par cette manœuvre, se reparent & s’ache-

vent au ciselet : mais la gravure en bois a donné les

grosses masses ; ce qui a épargné beaucoup d’ouvrage à l’artiste, qui, sans ce moyen, auroit été obligé d’exécuter au burin de grandes parties. Cet article & le suivant sont encore tirés des mém. de M. Papillon.

* Gravure en bois, de camayeu, ou de clair-obscur, de relief, à tailles d’épargne & à rentrées, ou à plusieurs planches, formant autant de teintes par dégradation sur l’estampe.

Le camayeu est très-ancien, s’il est vrai que ce fut de cette maniere de peindre d’une seule couleur, qu’un certain Cléophante fut surnommé chez les Grecs le Monochromate. Quant à la gravure en camayeu, il est vraissemblable qu’elle a pris naissance chez quelques-uns de ces peuples orientaux, où l’usage de peindre leurs toiles par planches à rentrées & couleurs différentes, subsiste de tems immémorial. La gravure en bois conduisit à l’invention de l’Imprimerie en lettres ; & les premieres rentrées de lettres en vermillon qu’on voit dans des livres dès 1470 & 1472, exécutées par Guttemberg, Schoeffer & autres, suggérerent sans doute à quelque peintre allemand d’imiter les desseins faits avec la pierre noire sur le papier bleu & rehaussés de blanc, avec deux planches en bois à rentrées, une pour le trait noir, & l’autre pour la teinte bleue, avec les rehauts ou les hachures blanches reservées dessus. Cette découverte a précédé l’année 1500. On voit de ces estampes ou premiers camayeux datés de 1504, qui ne sont pas sans mérite. Il y en a d’un goût gothique de Martin Schon, d’Albert Durer, de Hans ou Jean Burgkmaïr, & de leurs contemporains.

Lucas de Leiden, Lucas Cranis ou de Cronach, Sebald, & presque tous ceux qui travailloient alors pour les Imprimeurs en lettres, ont gravé à deux planches ou rentrées.

Les Italiens s’appliquerent aussi à ce genre, après les Allemands. Voici ce qu’on en lit dans Felibien : « Hugo da Carpi, dit cet auteur, publia dans ses principes d’Architecture une maniere de graver en bois, par le moyen de laquelle les estampes paroissent comme lavées de clair-obscur : il faisoit, pour cet effet, trois sortes de planches d’un même dessein, lesquelles se tiroient l’une après l’autre sous la presse, sur une même estampe ; elles étoient gravées de façon que l’une servoit pour les jours & grandes lumieres ; l’autre pour les demi-teintes, & la troisieme pour les contours & les ombres fortes ».

Abraham Bosse qui a traité de tous les genres de gravure, a aussi parlé de la maniere de graver de Hugo da Carpi. « Au commencement du seizieme siecle, dit Bosse, on imagina en Italie & en Allemagne l’art d’imiter en estampes les desseins lavés, & l’espece de peinture à une seule couleur, que les Italiens appellent chiaro scuro, & que nous connoissons sous le nom de camayeu ». On voit par l’historique qui précede, que la gravure en camayeu est beaucoup plus ancienne que Bosse ne la fait. Il ajoûte « qu’avec le secours de cette invention, on exprima le passage des ombres aux lumieres & les différentes teintes du lavis ; que celui qui fit cette découverte s’appelloit Hugo da Carpi (autre erreur de Bosse), & qu’il exécuta de fort belles choses d’après les desseins de Raphael & du Parmesan ».

Voici exactement ce que Hugo da Carpi exécuta, au jugement de M. Papillon graveur en bois, qui a mieux examiné cette matiere qu’Abraham Bosse, & qui nous a communiqué un petit mémoire là-dessus. Hugo da Carpi grava des rentrées ou planches par parties mattes, & employa jusqu’à quatre planches de bois pour une estampe, sans y faire aucune taille, les imprimant d’une seule couleur par dégradation de teintes, chaque planche donnant à l’estam-