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quelques personnes de l’inclination pour la religion protestante. Il engagea deux ou trois de ses prosélites à se retirer avec leurs familles à Bertholsdorf : ils y furent accueillis avec empressement & y bâtirent une maison dans un bois, à demi-lieue de ce village. Dès la S. Martin 1722, il s’y tint une assemblée de dévots, qui en fut comme la dédicace.

Christian David étoit si persuadé de l’aggrandissement futur de cet endroit, qu’il en traçoit déjà les quartiers & les rues : l’évenement n’a pas démenti ses présages. Bien des gens de Moravie, attirés d’ailleurs par la protection du comte de Zinzendorf, s’empresserent d’augmenter cet établissement & d’y bâtir ; & le comte y vint demeurer lui-même. Dans peu d’années ce fut un village considérable qui eut une maison d’orphelins, & d’autres édifices publics. En 1728 il y avoit déjà trente-quatre maisons fort logeables ; en 1732 le nombre des habitans montoit à six cens. La montagne de Huth-Berg donna lieu à ces gens-là d’appeller leur habitation qui en est tout proche, Huth-des-Hern, & dans la suite Hernhut, ce qui peut signifier la garde ou la protection du seigneur. C’est delà que toute la secte a pris son nom.

Les Hernhutes établirent bientôt entre eux une sorte de discipline qui les lie étroitement les uns aux autres, les partage en différentes classes, les met dans une entiere dépendance de leurs supérieurs, & les assujettit à de certaines pratiques de dévotion & à diverses menues regles ; on diroit d’un institut monastique.

La différence d’âge, de sexe & d’état, relativement au mariage, a formé les diverses classes : il y en a de maris, de femmes mariées, de veufs, de veuves, de filles, de garçons, d’enfans. Chaque classe a ses directeurs choisis parmi ses membres. Les mêmes emplois que les hommes ont entre eux sont exercés entre les femmes par des personnes de leur sexe. Tous les jours une personne de la classe en visite les membres, pour leur adresser des exhortations & prendre connoissance de l’état actuel de leur ame, dont elle rend compte aux anciens. Il y a de fréquentes assemblées de chaque classe en particulier & de toute la société ensemble.

Les conducteurs tiennent entre eux des conférences pour s’instruire mutuellement dans la conduite des ames. D’ailleurs la société est fort assidue aux exercices de religion qui se font à Bertolsdorf & ailleurs. Les membres de chaque classe se sont soudivisés en morts, réveillés, ignorans, disciples de bonne volonté, disciples avancés. On administre à chacune de ces subdivisions des secours convenables. On a sur-tout grand soin de ceux qui sont dans la mort spirituelle.

On veille à l’instruction de la jeunesse avec une attention particuliere. Outre les personnes chargées des orphelins, il y en a qui ont autorité sur tous les autres enfans. Le zèle de M. de Zinzendorf l’a quelquefois porté à prendre chez lui jusqu’à une vingtaine d’enfans, dont neuf ou dix couchoient dans sa chambre. Après les avoir mis dans la voie du salut, il les renvoyoit à leurs parens. Il y a des assemblées pour les petits enfans qui ne marchent pas encore ; on les y porte : là on chante, on prie, & l’on y fait des discours proportionnés à la capacité des petits auditeurs.

L’ancien, le co-ancien, le vice-ancien ont une inspection générale sur toutes les classes. Il y a des avertisseurs en titre d’office, dont les uns sont publics & les autres secrets. Il y a plusieurs autres charges & emplois dont le détail seroit trop long.

Une grande partie du culte des Hernhuters consiste dans le chant : c’est sur-tout par les cantiques qu’ils prétendent que les enfans s’instruisent de la religion. M. de Zinzendorf rapporte une chose bien

singuliere, c’est que les chantres de la société doivent avoir reçû de Dieu un don particulier & presque inimitable (il pouvoit bien dire tout-à-fait), sçavoir, que lorsqu’ils sont obligés d’entonner à la tête de l’assemblée, il faut que ce qu’ils chantent soit toûjours une répétition exacte & suivie de ce qui vient d’être prêché.

A toutes les heures du jour & de la nuit, il y a à Hernhut des personnes de l’un & de l’autre sexe chargées par tour de prier pour la société ; & ce qui est très-remarquable, c’est que sans montre, horloge, ni réveil, ces gens-là sont avertis par un sentiment intérieur, de l’heure où ils doivent s’acquitter de ce devoir.

Si les freres de Hernhut remarquent que le relâchement se glisse dans leur société ; ils raniment leur zèle en célébrant des agapes ou des repas de charité. La voie du sort est fort accréditée parmi eux ; ils s’en servent souvent pour connoître la volonté du Seigneur.

Ce sont les anciens qui font les mariages ; nulle promesse d’épouser n’est valide sans leur consentement. Les filles se dévouent au Sauveur, non pour ne jamais se marier, mais pour ne se marier qu’à un homme à l’égard duquel Dieu leur aura fait connoître avec certitude qu’il est régénéré, instruit de l’importance de l’état conjugal, & amené par la direction divine à entrer dans cet état.

La société des Hernhuts s’étant formée dans les terres de M. de Zinzendorf, sous sa protection, par ses soins, ses bienfaits, & suivant ses vûes, il étoit naturel qu’il conservât sur elle une très grande autorité ; aussi en a-t-il toûjours été l’ame, l’oracle, & le premier mobile. Dans le troisieme synode général du Hernhutisme, tenu à Gotha en 1740, il se démit de l’épiscopat, auquel il avoit été appellé en 1737, mais il conserva la charge de président ; il se démit de cet emploi-ci en 1743, en faveur du titre bien plus honorable de celui de ministre plénipotentiaire, & d’économe général de la société, avec le droit de se nommer un successeur.

Il a envoyé de ses compagnons d’œuvres presque par tout le monde ; lui-même il a couru toute l’Europe, & il a été deux fois en Amérique. Dès 1733 les missionnaires du Hernhutisme avoient déjà passé la ligne. La société possede, à ce que je crois, Béthléem en Pensylvanie : elle a aussi un établissement parmi les Hottentos ; mais elle n’a fait nulle part d’aussi belles conquêtes qu’en Wétéravie, où elle a Marienborn & Hernhaug, & dans les Provinces-Unies, où elle fleurit singulierement, sur-tout à Isselstein & à Zéist.

M. de Zinzendorf vint en Hollande en 1736, & le nombre de ses sectateurs s’y est accru peu-à-peu, en particulier parmi les Mennonites. Depuis la fin de 1748, il a fait recevoir la confession d’Ausbourg à ses freres Moraves, témoignant en même tems de l’inclination pour toutes les communions chrétiennes ; il déclare même qu’on n’a pas besoin de changer de religion pour entrer dans le Hernhutisme.

C’est le Sauveur qui fait tout dans sa secte, & qui regle l’envoi des missionnaires ; mais comme ils sont en grand nombre, & qu’ils font d’ailleurs des entreprises & des acquisitions coûteuses, ils ont établi une caisse, qu’on nomme la caisse du Sauveur, qui est devenue très-considérable par les donations des prosélites du Hernhutisme, & de ses fauteurs. M. de Zinzendorf a la principale direction de cette caisse, & Madame la comtesse son épouse partage ses travaux.

M. de Zinzendorf rapporte lui-même, que pendant vingt-six ans cette dame a si bien administré les fonds, qu’il n’a jamais rien manqué ni à sa maison, ni à sa société, quoiqu’il ait fallu fournir à des