Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/239

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au défaut de miracles, il faut que la religion reste abandonnée aux jugemens des particuliers, ou qu’elle se soutienne par les loix civiles.

Ainsi la religion est une affaire de législation, & non de philosophie. C’est une convention publique qu’il faut remplir, & non disputer. Quod si religio ab hominibus privatis non dependet, tunc oportet, cessantibus miraculis, ut dependeat à legibus. Philosophia non est, sed in omni civitate lex non disputanda sed implenda.

Point de culte public sans cérémonies ; car qu’est-ce qu’un culte public, sinon une marque extérieure de la vénération que tous les citoyens portent au Dieu de la patrie, marque prescrite selon les tems & les lieux, par celui qui gouverne. Cultus publicus signum honoris Deo exhibiti, idque locis & temporibus constitutis à civitate. Non à natura operis tantum, sed ab arbitrio civitatis pendet.

C’est à celui qui gouverne à décider de ce qui convient ou non dans cette branche de l’administration ainsi que dans toute autre. Les signes de la vénération des peuples envers leur Dieu ne sont pas moins subordonnés à la volonté du maître qui commande, qu’à la nature de la chose.

Voilà les propositions sur lesquelles le philosophe de Malmesbury se proposoit d’élever le système qu’il nous présente dans l’ouvrage qu’il a intitulé le leviathan, & que nous allons analyser.

Du léviathan d’Hobbes. Point de notions dans l’ame qui n’aient préexisté dans la sensation.

Le sens est l’origine de tout. L’objet qui agit sur le sens, l’affecte & le presse, est la cause de la sensation.

La réaction de l’objet sur le sens & du sens sur l’objet, est la cause des fantômes.

Loin de nous, ces simulacres imaginaires qui s’émanent des objets, passent en nous & s’y fixent.

Si un corps se meut, il continuera de se mouvoir éternellement, si un mouvement différent ou contraire ne s’y oppose. Cette loi s’observe dans la matiere brute & dans l’homme.

L’imagination est une sensation qui s’appaise & s’évanouit par l’absence de son objet & par la présence d’un autre.

Imagination, mémoire, même qualité sous deux noms différens. Imagination, s’il reste dans l’être sentant image ou fantôme. Mémoire, si le fantôme s’évanouissant, il ne reste qu’un mot.

L’expérience est la mémoire de beaucoup de choses.

Il y a l’imagination simple & l’imagination composée qui different entre elles, comme le mot & le discours, une figure & un tableau.

Les fantômes les plus bizarres que l’imagination composent dans le sommeil, ont préexisté dans la sensation. Ce sont des mouvemens confus & tumultueux des parties intérieures du corps, qui se succédant & se combinant d’une infinité de manieres diverses, engendrent la variété des songes.

Il est difficile de distinguer les fantômes du rêve, des fantômes du sommeil, & les uns & les autres de la présence de l’objet, lorsqu’on passe du sommeil à la veille sans s’en appercevoir, ou lorsque dans la veille l’agitation des parties du corps est très-violente. Alors Marcus Brutus croira qu’il a vû le spectre terrible qu’il a rêvé.

Otez la crainte des spectres, & vous bannirez de la société la superstition, la fraude & la plûpart de ces fourberies dont on se sert pour leurrer les esprits des hommes dans les états mal gouvernés.

Qu’est-ce que l’entendement ? la sorte d’imagination factice qui naît de l’institution des signes. Elle est commune à l’homme & à la brute.

Le discours mental, ou l’activité de l’ame, ou son entretien avec elle-même, n’est qu’un enchaînement involontaire de concepts ou de fantômes qui se succedent.

L’esprit ne passe point d’un concept à un autre, d’un fantome à un autre, que la même succession n’ait préexisté dans la nature ou dans la sensation.

Il y a deux sortes de discours mental, l’un irrégulier, vague & incohérent. L’autre régulier, continu, & tendant à un but.

Ce dernier s’appelle recherche, investigation. C’est une espece de quête où l’esprit suit à la piste les traces d’une cause ou d’un effet présent ou passé. Je l’appelle réminiscence.

Le discours ou raisonnement sur un évenement futur forme la prévoyance.

Un évenement qui a suivi en indique un qui a précédé, & dont il est le signe.

Il n’y a rien dans l’homme qui lui soit inné, & dont il puisse user sans habitude. L’homme naît, il a des sens. Il acquiert le reste.

Tout ce que nous concevons est fini. Le mot infini est donc vuide d’idée. Si nous prononçons le nom de Dieu, nous ne le comprenons pas davantage. Aussi cela n’est-il pas nécessaire, il suffit de le reconnoître & d’adorer.

On ne conçoit que ce qui est dans le lieu, divisible & limité. On ne conçoit pas qu’une chose puisse être toute en un lieu & toute en un autre, dans un même instant, & que deux ou plusieurs choses puissent être en même tems dans un même lieu.

Le discours oratoire est la traduction de la pensée. Il est composé de mots. Les mots sont propres ou communs.

La vérité ou la fausseté n’est point des choses, mais du discours. Où il n’y a point de discours, il n’y a ni vrai ni faux, quoiqu’il puisse y avoir erreur.

La vérité consiste dans une juste application des mots. De-là, nécessité de les définir.

Si une chose est désignée par un nom, elle est du nombre de celles qui peuvent entrer dans la pensée ou dans le raisonnement, ou former une quantité, ou en être retranchée.

L’acte du raisonnement s’appelle syllogisme, & c’est l’expression de la liaison d’un mot avec un autre.

Il y a des mots vuides de sens, qui ne sont point définis, qui ne peuvent l’être, & dont l’idée est & restera toujours vague, inconsistente & louche ; par exemple, substance incorporelle. Dantur nomina insignificantia, hujus generis est substantia incorporea.

L’intelligence propre à l’homme est un effet du discours. La bête ne l’a point.

On ne conçoit point qu’une affirmation soit universelle & fausse.

Celui qui raisonne cherche ou un tout par l’addition des parties, ou un reste par la soustraction. S’il se sert de mots, son raisonnement n’est que l’expression de la liaison du mot tout au mot partie, ou des mots tout & partie, au mot reste. Ce que le géometre exécute sur les nombres & les lignes, le logicien le fait sur les mots.

Nous raisonnons aussi juste qu’il est possible, si nous partons des mots généraux ou admis pour tels dans l’usage.

L’usage de la raison consiste dans l’investigation des liaisons éloignées des mots entre eux.

Si l’on raisonne sans se servir de mots, on suppose quelque phénomene qui a vraisemblablement précédé, ou qui doit vraisemblablement suivre. Si la supposition est fausse, il y a erreur.

Si on se sert de termes universaux, & qu’on arrive à une conclusion universelle & fausse, il y avoit absurdité dans les termes. Ils étoient vuides de sens.