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parce que la cause physique de cette affection a son siége là où se manifeste la lésion des fonctions.

Ainsi l’apoplexie est idiopathique lorsqu’elle dépend d’une hémorrhagie, d’un épanchement de sang qui se forme dans les ventricules du cerveau.

La pleurésie est une maladie idiopathique, lorsqu’elle a commencé par un engorgement inflammatoire dans la plevre même.

On entend ordinairement par idiopathie la même chose que par protopathie, primarius affectus, & on attache à ces deux termes un sens opposé à ceux de sympathie & de deutéropathie. Voyez Maladie, Sympathie.

IDIOPATHIQUE, (Patholog.) ἰδιοπαθικὸς, mot dérivé du grec ; il est formé de ἴδιος, qui signifie propre, & πάθος, passion, affection, maladie ; c’est comme si on disoit maladie propre ; son sens est parfaitement conforme à son étymologie ; on l’ajoute comme épithete aux maladies dont la cause est propre à la partie où l’on observe le principal symptome. Il ne faut qu’un exemple pour éclaircir ceci ; on appelle une phrénésie idiopathique lorsque la cause, le dérangement qui excite la phrénésie, est dans le cerveau ; ces maladies sont par-là opposées à celles qu’on nomme sympathiques, qui sont entraînées par une espece de sympathie, de rapport qu’il y a entre les différentes parties ; ainsi un délire phrénétique occasionné par la douleur vive d’un panaris, par l’inflammation du diaphragme, est censé sympathique ; l’affection se communique dans ce dernier cas par les nerfs ; on voit par-là qu’idiopathique ne doit point être confondu avec essentiel, & qu’il n’est point opposé à symptomatique, la même maladie pouvant être en même-tems symptomatique & idiopathique. Article de M. Menuret.

IDIOSYNCRASE, s. f. (Médec.) particularité de tempérament ; ἰδιοσυγκρασία, mot composé de ἴδιος, propre, σὺν, avec, & κρᾶσις, mélange.

Comme il paroît que chaque homme a sa santé propre, & que tous les corps different entr’eux, tant dans les solides que dans les fluides, quoiqu’ils soient sains chacun ; on a nommé cette constitution de chaque corps, qui le fait différer des autres corps aussi sains, idiosyncrase, & les vices qui en dépendent passoient quelquefois pour incurables, parce qu’on pensoit qu’ils existoient dès les premiers instans de la formation de ce corps ; mais nous ne pouvons point attribuer toûjours à une disposition innée, ces maladies des vaisseaux & des visceres trop débiles.

Une fille de qualité élevée dans le luxe, la mollesse & le repos, a le corps foible & languissant ; une paysanne en venant au monde, semblable à cette fille de condition, s’accoutume au travail dès sa plus tendre jeunesse, devient forte & vigoureuse ; la débilité de la premiere, & les maladies qui en résultent, sont donc prises mal-à-propos pour des maladies innées, car on ne sauroit croire quels changemens on peut produire dès l’enfance dans ce qu’on appelle d’ordinaire tempérament particulier ; cependant quand cette idiosyncrase existe, il faut y avoir un grand égard dans l’usage des remedes, sans quoi l’on risque de mettre la vie du malade en danger. Hippocrate en a fait l’observation, confirmée par l’expérience de tous les tems & de tous les lieux. (D. J.)

* IDIOT, adj. (Gramm.) il se dit de celui en qui un défaut naturel dans les organes qui servent aux opérations de l’entendement est si grand, qu’il est incapable de combiner aucune idée, ensorte que sa condition paroît à cet égard plus bornée que celle de la bête. La différence de l’idiot & de l’imbécille consiste, ce me semble, en ce qu’on naît idiot, & qu’on devient imbécille. Le mot idiot vient de ἰδιώτης, qui

signifie homme particulier, qui s’est renfermé dans une vie retirée, loin des affaires du gouvernement ; c’est-à-dire celui que nous appellerions aujourd’hui un sage. Il y a eu un célebre mystique qui prit par modestie la qualité d’idiot, qui lui convenoit beaucoup plus qu’il ne pensoit.

IDIOTISME, subst. masc. (Gramm.) c’est une façon de parler éloignée des usages ordinaires, ou des lois générales du langage, adaptée au génie propre d’une langue particuliere. R. ἴδιος, peculiaris, propre, particulier. C’est un terme général dont on peut faire usage à l’égard de toutes les langues ; un idiotisme grec, latin, françois, &c. C’est le seul terme que l’on puisse employer dans bien des occasions ; nous ne pouvons dire qu’idiotisme espagnol, portugais, turc, &c. Mais à l’égard de plusieurs langues, nous avons des mots spécifiques subordonnés à celui d’idiotisme, & nous disons anglicisme, arabisme, celticisme, gallicisme, germanisme, hébraïsme, hellénisme, latinisme, &c.

Quand je dis qu’un idiotisme est une façon de parler adaptée au génie propre d’un langue particuliere, c’est pour faire comprendre que c’est plutôt un effet marqué du génie caractéristique de cette langue, qu’une locution incommunicable à tout autre idiome, comme on a coutume de le faire entendre. Les richesses d’une langue peuvent passer aisément dans une autre qui a avec elle quelque affinité ; & toutes les langues en ont plus ou moins, selon les différens degrés de liaison qu’il y a ou qu’il y a eu entre les peuples qui les parlent ou qui les ont parlées. Si l’italien, l’espagnol & le françois sont entés sur une même langue originelle, ces trois langues auront apparemment chacune à part leurs idiotismes particuliers, parce que ce sont des langues différentes ; mais il est difficile qu’elles n’aient adopté toutes trois quelques idiotismes de la langue qui sera leur source commune, & il ne seroit pas étonnant de trouver dans toutes trois des celticismes. Il ne seroit pas plus merveilleux de trouver des idiotismes de l’une des trois dans l’autre, à cause des liaisons de voisinage, d’intérêts politiques, de commerce, de religion, qui subsistent depuis long-tems entre les peuples qui les parlent ; comme on n’est pas surpris de rencontrer des arabismes dans l’espagnol, quand on sait l’histoire de la longue domination des Arabes en Espagne. Personne n’ignore que les meilleurs auteurs de la latinité sont pleins d’hellénismes : & si tous les littérateurs conviennent qu’il est plus facile de traduire du grec que du latin en françois, c’est que le génie de notre langue approche plus de celui de la langue greque que de celui de la langue latine, & que notre langage est presque un hellénisme continuel.

Mais une preuve remarquable de la communicabilité des langues qui paroissent avoir entre elles le moins d’affinité, c’est qu’en françois même nous hébraïsons. C’est un hébraïsme connu que la répétition d’un adjectif ou d’un adverbe, que l’on veut élever au sens que l’on nomme communément superlatif. Voyez Amen & Superlatif. Et le superlatif le plus énergique se marquoit en hébreu par la triple répétition du mot : de là le triple kirie eleison que nous chantons dans nos églises, pour donner plus de force à notre invocation ; & le triple sanctus pour mieux peindre la profonde adoration des esprits célestes. Or il est vraissemblable que notre très, formé du latin tres, n’a été introduit dans notre langue, que comme le symbole de cette triple répétition, très-saint, ter sanctus, ou sanctus, sanctus, sanctus : & notre usage de lier très au mot positif par un tiret, est fondé sans doute sur l’intention de faire sentir que cette addition est purement matérielle, qu’elle n’empêche pas l’unité du mot, mais qu’il doit être répété trois fois, ou du-moins qu’il faut y attacher le sens