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entierement distribuée. Ensuite il prend plusieurs autres poignées & les distribue de même, jusqu’à ce que la casse se trouve remplie. En distribuant, le cran doit être dessous, & l’œil de la lettre tourné du côté du compositeur, à cause de la commodité évidente qui en résulte dans la distribution, malgré la méthode contraire de quelques étrangers, qui distribuent le cran dessus, & le pié du caractere tourné de leur côté. Le compositeur doit en distribuant éviter avec le plus grand soin de faire ce qu’on appelle dans l’Imprimerie des coquilles, c’est-à-dire de mettre dans un cassetin les lettres qui sont d’un autre cassetin. Les lettres de la distribution devant entrer dans la composition, il arrive du mélange, que le compositeur qui porte la main dans un cassetin pour prendre une lettre, en prend une autre ; ce qui charge l’épreuve de fautes & le compositeur de corrections. Si en distribuant il lui échappe quelque lettre & qu’elle tombe dans un autre cassetin, il doit la chercher aussi-tôt, & faire ensorte de la trouver pour la mettre à sa place. Quand le compositeur a fini de distribuer, il voit si sa casse est bien assortie ; s’il lui manque quelque sorte, il la cherche dans les autres casses du même caractere ; s’il en a quelqu’une de trop, il la survuide.

Il prend ensuite la justification. Prendre la justification, c’est desserrer, avec le dos de la lame d’un couteau, la vis d’un composteur, & en faire mouvoir les branches, c’est-à-dire les avancer ou reculer dans toute la longueur de la lame, en portant la vis & l’écroux d’un trou à un autre, à proportion de la longueur des lignes de l’ouvrage, & serrer la vis. Voyez Composteur, & les mots marqués en caracteres italiques. Voyez aussi les Planches d’Imprimerie. Si l’ouvrage est commencé, il faut prendre la justification sur une ligne bien justifiée (c’est-à-dire ni forte ni foible) d’une nouvelle composition. Il ne faut point la prendre sur une ligne de distribution ; on risqueroit de la prendre trop foible, parce que les lignes se resserrent & se retrécissent plus ou moins à proportion du plus ou moins de tems qu’elles restent en chassis, & les lignes de petit caractere plus que les lignes de gros caractere. Si la copie est imprimée, & que la réimpression se fasse du même format & du même caractere, il faut en présentant le composteur sur une page, prendre la justification tant soit peu plus large que les lignes, par exemple d’un t, parce que le papier, qui a été trempé pour l’impression, s’est retréci en séchant : ou bien le compositeur choisit une ligne un peu serrée de cette page imprimée, la compose, & prend la justification sur cette même ligne. Quand on prend la justification d’un ouvrage de longue haleine, on détermine ordinairement la longueur des lignes sur un nombre d’m m du caractere ; par exemple la justification des lignes à deux colonnes de l’Encyclopédie est de 20 mm couchées & un ç droit. Au moyen de cette détermination, si l’on est obligé de déjustifier le composteur pour un autre ouvrage, on est sûr en reprenant de retrouver juste la justification, & de ne point varier.

La justification prise, le compositeur prend une galée ou in-fol. ou in-4°. ou in-8°. suivant le format de l’ouvrage sur lequel il va travailler, & la place sur les petites capitales de sa casse de romain.

Composition. Le prote lui donne une quantité de copie plus ou moins considérable, après avoir marqué l’alinéa où il doit commencer ; c’est une attention à laquelle il ne faut point manquer quand il y a plusieurs compositeurs sur un ouvrage, pour éviter de composer deux fois la même chose, comme cela arrive quelquefois. Si cette copie est in-fol. ou in-4o. le compositeur la plie en deux, en met le bas dans la crenure de son visorion (voyez l’article Visorion

& nos Planches), & en arrête le haut avec le mordant (voyez l’article Mordant), précisément au-dessus de la ligne où il doit commencer. Ensuite tenant son composteur de la main gauche, le rebord en-dessus & en-dedans de la main, les quatre doigts dessous, & le pouce dans le vuide que forment le rebord des coulisses & l’équerre qui est au bout du composteur, il lit trois ou quatre mots de la copie, puis avec le pouce, le doigt index & le doigt du milieu de la main droite, il leve toutes les lettres de ces trois ou quatre mots, l’une après l’autre dans chaque cassetin où elle se trouve, après avoir donné un coup-d’œil pour en voir le cran, & les arrange dans le vuide du composteur sous le pouce de la main gauche qui les maintient, l’œil de la lettre en haut, & le cran en bas & en-dessous, observant de mettre un espace moyen ou deux minces entre chaque mot, & d’avancer le pouce & les doigts de la main gauche vers le bout du composteur à mesure qu’il s’emplit. Quand ces trois ou quatre mots sont composés, il en lit trois ou quatre autres, en leve de même toutes les lettres, & les met dans le composteur jusqu’à ce qu’il soit plein ou à peu de chose près. Alors le mot qui se trouve au bout de la ligne est fini, ou il ne l’est pas ; si le mot est fini, le compositeur justifie sa ligne, c’est-à-dire la fait de la longueur déterminée dans le composteur par la justification qu’il a prise, en mettant également des espaces plus ou moins entre chaque mot, jusqu’à ce que le composteur soit tout-à-fait plein, & que la ligne s’y trouve un peu serrée. Si le mot n’est pas fini, le compositeur peut le diviser par syllabes, & avant une syllabe au moins de deux lettres, en mettant une division au bout de la ligne, plus ou moins forte, suivant la place qu’il a. Si la ligne est d’un petit format, c’est-à-dire in-12, in-16, in-18, &c. le compositeur peut la mettre dans la galée avec les doigts de la main droite seulement, sans le secours de la réglette, en pressant le commencement de la ligne avec le pouce, pressant la fin en sens contraire avec le doigt index, la ligne appuyée sur le côté du doigt du milieu dans sa longueur. Si la ligne est in-8o. ou in-4o. le compositeur prend sa réglette de la main droite, la pose à plat sur la ligne qui est dans le composteur, appuie un bout de la réglette contre le talon de la coulisse du composteur ; & avec le pouce en-dessus sur la réglette, le doigt annullaire ou le petit doigt qui arrête le commencement de la ligne, le doigt index qui en maintient la fin, & le doigt du milieu qui la soutient par le milieu en-dessous, il transporte la ligne du composteur dans la galée. Si la ligne est in-fol. le compositeur est obligé de se servir des deux mains pour la mettre dans la galée. Il commence ensuite la seconde ligne, la finit, la justifie, la met dans la galée de la même maniere, puis la troisieme, la quatrieme & les suivantes de la même maniere, observant d’espacier également les mots & de bien justifier les lignes, à cause de l’égal inconvénient qui résulte d’une ligne trop forte ou d’une ligne trop foible. Une ligne trop foible ne peut pas être serrée dans l’imposition par les bois de la garniture, & met les lettres de cette ligne dans le cas de s’écarter les unes des autres, & même de tomber dans le transport qu’on fait de la forme, du marbre sur la presse aux épreuves, & de la presse aux épreuves sur le marbre pour corriger. Une ligne trop forte empêche les lignes de dessus & les lignes de dessous d’être serrées, & les met dans l’inconvénient des lignes trop foibles. Le compositeur doit aussi avoir l’attention de jetter la vûe sur chaque ligne avant de la justifier ou en la justifiant, pour voir s’il n’a point en composant oublié ou doublé quelque lettre ou quelque mot, s’il n’a point renversé ou mis quelque lettre pour une autre, comme cela arrive très-souvent :