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avoir eu la petite vérole, elle est mortelle à plus d’un malade sur sept ; & si elle épargne un plus grand nombre de malades, il faut que plus de la moitié des hommes tôt ou tard ait cette maladie.

Lorsqu’un grand nombre d’auteurs, parmi lesquels on compte la plûpart des medecins arabes, ont écrit, les uns, que la petite vérole étoit une maladie universelle, les autres, que presque personne n’en étoit exempt ; lorsque des medecins célebres plus modernes, entr’autres Riviere & Méad, celui-ci, après cinquante ans de pratique, ont prétendu qu’à peine un seul sur mille l’évitoit, ils n’ignoroient pas que beaucoup d’enfans & de jeunes gens meurent avant que de l’avoir eue : donc en soutenant qu’elle étoit presque universelle, ils n’ont pû entendre autre chose sinon qu’elle étoit presque inévitable pour ceux qui ne sont pas enlevés par une mort prématurée ; & c’est ce que les calculs précédens mettent en évidence. Si l’on objecte que quelques hommes parviennent a la vieillesse sans avoir eû la petite vérole, on doit se rappeller qu’on a vû plus d’une fois des gens la contracter à l’âge de 80 ans, que par conséquent il ne faut pas se presser de conclure qu’on est à l’abri de ce fléau ; il y a beaucoup d’apparence que tous les hommes y sont sujets, comme tous les chevaux à la gourme, qu’on n’échappe à la petite vérole que faute d’avoir assez vécu.

Il est vrai qu’il résulte des observations de M. Jurin, qu’il y a quatre personnes par cent sur lesquelles l’inoculation paroît n’avoir pas de prise ; mais sur ce nombre on en a reconnu plusieurs qui portoient des marques de la maladie dont ils se croyoient exempts ; d’autres étoient soupçonnés de lui avoir payé le tribut ; ajoutons que d’autres pouvoient l’avoir eue sans éruption apparente, & de l’espece de celles qui, après les premiers symptomes, prennent leur cours par les évacuations, & que Boerhaave appelle morbus variolosus sine variolis ; procéde de la nature dont on connoît quelques exemples, peut-être plus fréquens que l’on ne croit, & que l’art n’a pû encore imiter avec sûreté. Tout medecin qui n’aura pas vû un de ces exemples, peut dans des cas semblables se méprendre à la nature de la maladie, & le malade à plus forte raison ignorer qu’il a eu la petite vérole. Enfin, l’insertion peut ne pas produire toujours son effet, tantôt par la faute de l’inoculateur, tantôt par des raisons qui nous sont inconnues ; accident qui seroit commun à l’inoculation & à tous les autres remedes les plus éprouvés. On voit donc qu’il est très-possible, & même très-vraissemblable que, conformément à la doctrine de plusieurs grands medecins, tous les hommes, presque sans exception, sont sujets à la petite vérole s’ils ne meurent pas prématurément, & que parmi les gens d’un certain âge qui passent pour n’avoir pas encore payé ce tribut, il y a des déductions à faire qui tendent à en diminuer beaucoup le nombre.

Dans tous les calculs précédens nous avons toujours supposé que l’inoculation n’étoit pas exempte de péril, pour éviter de longues discussions, & il suffisoit en effet de prouver que le risque, s’il y en a, n’est pas si grand que ceux auxquels on s’expose tous les jours volontairement & sans nécessité, souvent par pure curiosité, par passe-tems, par fantaisie, dans les exercices violens, tels que la chasse, la paulme, le mail, la poste à cheval dans les voyages de longs cours, &c. Mais si nous n’avons pas écarté l’idée de tout danger dans l’inoculation bien administrée, conformément à ce que pensent d’habiles praticiens, rappellons du moins à nos lecteurs qu’il est juste de retrancher du nombre des prétendues victimes de cette opération, tous ceux qui sont évidemment morts d’accidens étrangers, les enfans à la mamelle emportés en peu de momens dans le

cours d’une petite vérole inoculée très-bénigne, par une convulsion ou par une colique, comme il arrive à d’autres de cet âge qui paroissoient jouir d’une santé parfaite ; ceux qui dans les tems d’épidémie avoient déja reçu le mal par la contagion naturelle ; ceux dont l’intempérance ou d’autres exces, avant que d’être inoculés, ont visiblement causé la mort ; joignez à toutes ces causes étrangeres l’imprudence de quelques inoculateurs dans les premiers tems où la méthode s’est introduite, il ne restera peut-être pas une seule mort qu’on puisse imputer légitimement à l’inoculation.

Ce seroit ici le lieu d’examiner quel âge est le plus convenable pour cette opération. Les enfans étant exposés à la petite vérole dès le moment de leur naissance, quelquefois même avant que de voir le jour, il paroît qu’on ne peut trop se hâter de les soustraire à ce danger. Mais de cinq enfans, suivant les observations deja citées de M. Jurin, il en meurt deux dans les deux premieres années des maladies communes à cet âge, & sur lesquelles tout l’art des Medecins échoue le plus souvent. Les accès de convulsion, les coliques, les douleurs de dents, &c. pourroient survenir dans le cours de la petite vérole artificielle, la rendre dangereuse & peut être fatale ; souvent même ces morts, causées par des accidens, seroient injustement imputées à l’inoculation. C’est vraissemblablement pour cette seule raison qu’on a cessé d’inoculer en Angleterre les enfans en nourrice, & qu’on attend ordinairement l’âge de quatre ans, mais on ne peut accuser pour cela les inoculateurs d’avoir eu moins à cœur le bien public que leur honneur ou leur propre intérêt, puisque le discrédit de l’inoculation tourneroit au préjudice de l’humanité. Quelques-uns ont pensé que le tems le plus propre à l’insertion étoit l’âge de trois semaines ou d’un mois, tems où les enfans échappés aux accidens ordinaires des premiers jours après leur naissance, ne sont pas encore sujets au plus grand nombre de ceux qui menacent leur vie quelques mois après.

Il resteroit à savoir jusqu’à quel âge il y a de l’avantage à se faire inoculer. D’un côté la probabilité d’échapper au tribut de la petite vérole, croît avec les années ; de l’autre, le danger d’en mourir, si l’on en est attaqué, croît pareillement, & peut-être dans un plus grand rapport. Nous manquons d’expériences pour assigner exactement le terme où l’inoculation cesseroit d’être avantageuse. Il est ordinaire qu’il se présente à l’hôpital de Londres des gens de 35 ans pour se faire inoculer. Il y a beaucoup d’apparence qu’on le peut avec sûreté beaucoup plus tard : on a des exemples de gens de 70 ans à qui cette épreuve a réussi. Ce succès est moins extraordinaire que leur résolution, puisqu’on en a vû de plus âgés se bien tirer de la petite vérole naturelle, toujours beaucoup plus dangereuse que l’inoculée.

Le détail où nous sommes entrés sur la mesure de la fréquence & du danger de la petite vérole naturelle, & sur les avantages de l’inoculation, prépare la réponse aux objections que l’on a faites contre cette pratique. Nous ne nous attacherons qu’à celles qui présentent quelque difficulté réelle, & nous passerons légerement sur celles que les anti-inoculistes ont eux mêmes abandonnées.

Objections. Objections physiques. Premiere objection. La maladie que l’on communique par l’inoculation est-elle une vraie petite vérole ? Cette objection est detruite par une autre, à laquelle nous répondrons en son lieu. Nous observerons seulement ici qu’il est singulier que Wagstaffe, qui le premier a révoqué en doute que la maladie communiquée par l’insertion fût une petite vérole, est aussi le premier qui ait dit que cette opération porteroit la contagion & la mort