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si l’on est forcé d’en venir à l’interprétation de quelque clause, elle fait contre ceux qui ne se sont pas expliqués assez clairement, in quorum fuit potestate legem apertius dicere.

En matiere criminelle, l’interprétation des faits & des actes se fait toujours à la décharge de l’accusé.

On est quelquefois obligé d’interpréter certaines lois, soit parce que les législateurs n’ont pas prévu tous les cas qui se rencontrent, ou parce que les termes de la loi présentent différens sens.

Il y a néanmoins une maxime qui veut que l’on ne distingue point où la loi n’a pas distingué ; mais cela s’entend qu’on ne doit point admettre d’exception à la loi, sans une raison particuliere, tirée de la loi même ou du motif sur lequel elle est fondée.

C’est donc dans l’esprit de la loi qu’on doit en chercher l’interprétation.

Si la disposition est contraire au droit commun, elle ne doit point recevoir d’extension d’un cas à un autre, ni d’une personne à une autre, ni d’une chose à une autre.

C’est au prince qu’il appartient naturellement d’interpréter la loi, ejus est legem interpretari cujus est legem condere. C’est une maxime tirée du droit romain.

En France nos Rois se sont toujours réservé l’interprétation de leurs ordonnances.

Charlemagne ayant trouvé la loi des Lombards défectueuse en plusieurs points, la réforma en 801, & ajoûta que dans les choses douteuses il vouloit que les juges eussent recours à son autorité, sans qu’il leur fût permis de les décider suivant leur caprice.

L’ordonnance de 1667, tit. j. art. iij. veut que, si par la suite du tems, usage & expérience, aucuns articles de cette ordonnance se trouvoient contre l’utilité ou commodité publique, ou être sujets à interprétation, déclaration ou modération, les cours puissent en tout tems représenter au roi ce qu’elles jugeront à propos, sans que, sous ce prétexte, l’exécution en puisse être sursise.

L’art. vij. du même titre porte que, si dans le jugement des procès qui seront pendans au parlement ou autres cours, il survient quelque doute ou difficulté sur l’exécution de quelque article des ordonnances, édits, déclarations & lettres, Sa Majesté défend aux cours de les interpréter, mais veut qu’en ce cas elles ayent à se retirer par-devers S. M. pour apprendre son intention.

Il résulte de cet article que les cours mêmes ne peuvent interpréter la loi, lorsqu’il s’agit de le faire contre les termes & le sens évident de la loi.

Mais quand l’interprétation peut se tirer de la loi même, & qu’elle n’a rien de contraire à la loi, les cours sont en possession de la faire sous le bon plaisir de S. M.

Ce pouvoir d’interpréter les lois est une prérogative qui n’appartient qu’aux juges souverains, lesquels représentent la personne du roi, & vice sacrâ principis judicant. Les juges inférieurs sont obligés de se conformer à la lettre de la loi, ou se retirer par-devers M. le chancelier pour savoir quelle est l’intention du Roi. Voyez au code le tit. de legibus.

Lorsqu’il y a contrariété entre deux arrêts rendus en des tribunaux, entre les mêmes parties & pour raison du même fait, on peut se pourvoir en interprétation au grand-conseil.

Mais si les deux arrêts sont émanés du même tribunal, ou que dans un arrêt il se trouve deux dispositions qui paroissent contraires les unes aux autres, on ne peut pas se pourvoir contre de tels arrêts par simple requête en interprétation d’iceux ; c’est le cas de se pourvoir par requête civile suivant l’ordonnance de 1667 ; & la déclaration du 21 Avril 1671, défend aux parties de se pourvoir contre les arrêts par requête en interprétation, & aux cours de rétracter

les arrêts, & d’en changer les dispositions par maniere d’interprétation, ou autre voie.

Cependant s’il ne s’agissoit que d’expliquer quelque disposition, & de suppléer quelque chose, sur quoi l’arrêt auroit omis de prononcer ; sans toucher à ce qui est porté par l’arrêt, ni rien ordonner de contraire, on pourroit se pourvoir par simple requête, & les cours pourroient ainsi statuer sur ce qui leur seroit demandé, de même que le feroient des juges inférieurs, lesquels, après avoir rendu leur jugement, ne peuvent plus le changer, mais bien statuer sur les nouveaux incidens que l’exécution du jugement fait naître. (A)

INTERPRETE, s. m. (Gramm. & Théologie.) celui qui fait entendre les sentimens, les paroles, les écrits des autres, lorsqu’ils ne sont pas intelligibles. Voyez Dragoman.

Le mot interprete, suivant Isidore, est composé de la préposition inter & de partes, l’interprete tenant le milieu entre deux parties ou deux personnes, pour leur faire entendre mutuellement leurs pensées. D’autres le font venir d’inter & de præs, c’est-à-dire, fidejussor, celui qui se porte pour caution entre deux personnes qui ne s’entendent point.

L’interprétation de l’Ecriture a donné lieu à des grands débats ; les Catholiques soutiennent qu’elle appartient absolument à l’Eglise ; que la raison peut bien en chercher le sens, lorsque l’Eglise n’a rien prononcé, mais qu’elle doit se taire dès que cet oracle a parlé. Les Protestans veulent que la raison soit le juge ou l’interprete souverain des Ecritures, quoique quelques-uns d’entre eux ayent beaucoup d’égard pour les synodes, & d’autres pour l’autorité de la primitive église. Quelques-uns enfin disent que c’est le S. Esprit qui l’interprete à chacun au fond du cœur. C’est ce que Bochart appelle ἀπόδειξις τοῦ πνεύματος. Voyez Esprit.

Dans la primitive église l’office d’interprete étoit une fonction ecclésiastique, différente de celle du lecteur : car comme il arrivoit souvent que dans une ville les habitans étoient les uns naturels du pays, les autres établis ou par colonie, ou par droit de conquête, ou autrement, & que tous ne parloient pas la même langue ; on n’entendoit pas également la lecture qu’on faisoit des livres sacrés ; il y avoit dans presque toutes les églises des interpretes pour expliquer au peuple en langue vulgaire ce que le lecteur venoit de lire, ou le discours que l’évêque avoit prononcé. C’est ce que les Grecs appelloient ἑρμηνευτὰς. Ainsi dans les églises de la Palestine où la moitié du peuple parloit grec, & l’autre parloit syriaque, dans celles d’Afrique où la langue punique étoit encore en usage parmi les uns, tandis que la latine étoit familiere aux autres, il falloit nécessairement qu’il y eût de ces interpretes. Bingham, orig. ecclésiastiq. tom. II. lib. III. chap. xiij. §. 4.

Interpretes du droit (Jurisprud.) ce sont les jurisconsultes qui ont commenté les lois romaines. Voyez ci-devant Interprétation, & ci-dessus Jurisconsultes. (A)

INTERREGNE, s. m. (Droit polit.) on appelle interregne dans un état déja formé le tems qui s’écoule depuis la mort du roi, jusqu’à l’élection de son successeur.

Pendant cet intervalle le peuple redevient un corps imparfait, uni seulement par l’engagement primordial des états, qui ont jugé nécessaire de former une société civile.

Cet engagement est d’une très-grande force par les sentimens qu’inspirent le nom & la vûe d’une patrie, & par l’intérêt des citoyens qui ont leurs biens dans le pays ; c’est par de si puissans motifs que la nation se trouve obligée de rétablir au plutôt le gouvernement parfait, civitatem cum impe-