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certaine condition, différente de ce sujet envisagé plus abstraitement. Il y a donc trois parties très-distinctes dans l’énoncé de toute vérité mathématique : le sujet qui est un être exprimé d’une maniere trop universelle pour que l’attribut de la proposition puisse lui convenir dans tous les cas possibles ; mais auquel il ne manque pour cet effet que d’être rendu plus particulier par une seule qualité déterminante : l’hypothèse, par où l’on doit entendre cette condition qui manquoit au sujet ; & la thèse enfin, ou la qualité qu’on assûre convenir au sujet dès que l’hypothèse l’a rendu assez particulier pour cela.

Qu’il me soit permis d’illustrer cette sous-division que j’exige dans la premiere partie de toute proposition, par l’exemple de celle que mettent les Metaphysiciens dans la cause complete de tout effet. Un effet est toûjours exactement simultané à sa cause complete, c’est-à-dire à la collection de tout ce qui est requis pour qu’il parvienne à l’existence : & si l’on a accoûtumé de regarder l’effet comme postérieur à sa cause, c’est parce qu’on entend communément par ce dernier terme, une cause incomplete, à laquelle il manque encore, pour être accompagnée de son effet, une qualité qu’on nomme condition, ou occasion, & qu’on distingue expressément du reste. Cette comparaison est d’autant plus légitime, que, même dans la Géométrie, dont les objets sont des quantités co-existentes, on est en usage de commencer souvent l’hypothèse des théorèmes par des adverbes de tems, tels que ceux-ci, quand, ou lorsque ; & de mettre quelquefois la thèse au futur, alors on aura, &c.

Mais voici une considération qui fera mieux sentir encore la nécessité de distinguer trois parties dans toute proposition hypothétique. Si l’on fait choix de deux pareilles propositions visiblement converses l’une de l’autre, & qu’on les distribue seulement en deux parties, l’hypothèse & la thèse, on ne pourra jamais obtenir l’une de ces propositions, à l’aide d’un simple renversement de l’autre ; & il faudra toûjours conserver dans leurs deux hypothèses quelque chose qui leur est commun, & qui ne peut passer ni dans la thèse de l’une, ni dans celle de l’autre. Ce sont ces qualités communes aux deux hypothèses, que j’en détache, pour former ce que je nomme le sujet.

Nous sommes à présent en état de rectifier la définition qui est à la tête de cet article, & de dire, que quand deux propositions ont un même sujet, mais que l’hypothèse & la thèse de l’une font un échange mutuel de leurs fonctions pour former l’autre proposition, elles sont dites converses l’une de l’autre ; & que la plus importante des deux, ou bien celle que l’on met la premiere, parce qu’elle peut se démontrer plus aisément sans le secours de l’autre ; que celle-ci ne peut être prouvée indépendamment de celle-là, se nomme quelquefois la directe. Voici donc la forme à laquelle je réduis les énoncés de toutes les propositions & de leurs converses.

Sujet commun. Tout ce qui a les qualités A, B, C, &c.

Directe. Hyp. S’il possede encore la qualité R.
Thèse. Il possédera aussi la qualité S.
Converse. Hyp. S’il possede encore la qualité S.
Thèse. Il possedera aussi la qualité R.

Je serai à présent beaucoup plus aisément compris dans ce que j’avois à observer sur les différentes questions dont on a embrouillé cette matiere, & sur quelques autres regles contre lesquelles péchent la plûpart des élémens qu’on met entre les mains des jeunes gens.

Premiere question. Tout théorème a-t-il une converse ?

Je me croirois dispensé d’une réponse, si des au-

teurs très-applaudis d’ailleurs, n’avoient pas prétendu

le contraire, en s’appuyant par exemple de la 32e d’Euclide ; que par cette raison, je vais exprimer ici à ma maniere : dans toute figure rectiligne, où il y a précisément trois côtés, la somme des angles vaut deux droits. La converse en est à présent aisée à trouver : dans toute figure rectiligne, où la somme des angles vaut deux droits, il y a précisément trois côtés.

On voit ici, que pour avoir mes trois parties, j’ai été obligé de substituer la définition au défini, parce que ce dernier renfermoit sous un seul mot, les qualités qui devoient appartenir au sujet, avec celle qui constituoit l’hypothese. C’est ce que l’on est souvent obligé de faire ; & c’est-là sans doute ce qui a empêche jusqu’à présent les auteurs d’appercevoir cette distinction.

Seconde question. Tout théorème universellement vrai, a-t-il une converse universellement vraie ?

Oui, pourvu que l’hypothese soit aussi étendue que la these. Un des principaux auteurs qui ont soutenu la négative, s’étant fait fort sur-tout de l’exemple d’une diagonale qui coupe en deux également son parallélogramme, sans que pour cela toute droite qui coupe un parallélogramme en deux également en soit la diagonale : je ferai peut-être plaisir à ses lecteurs, en leur indiquant trois manieres de rendre ce théorème universellement convertible. Premierement en généralisant l’hypothèse, c’est-à-dire, en l’étendant à toutes les droites qui passent par le point d’intersection des deux diagonales, ou en particularisant la thèse, ce qui auroit lieu si on disoit que le parallélogramme est coupé en deux parties égales & semblables, ou seulement en deux triangles ; ou enfin en décomposant l’idée de diagonale, comme nous avons décomposé dans la premiere question l’idée de triangle, ce qui donneroit l’énoncé que voici : Toute droite qui passe par le sommet d’un des angles d’un parallélogramme, si elle passe aussi par le sommet de l’angle opposé, elle coupera ce parallélogramme en deux parties égales. On me proposa une fois l’exemple suivant à convertir : Tout polygone inscriptible au cercle, s’il est équilatéral, il est aussi équiangle ; & je la rendis convertible en généralisant l’hypothèse, c’est-à-dire, en disant : si ces côtés alternatifs sont égaux. On remarquera en passant, que c’est seulement dans les théorèmes dont la thèse n’est pas plus étendue que l’hypothèse, qu’on peut donner le nom de propriété à la qualité que renferme cette thèse.

Je dois aussi un mot à ceux qui donnent dans l’excès opposé, & qui répondent a la question présente par l’affirmative, sans y mettre aucune restriction sur l’étendue de la thèse relativement à l’hypothèse ; mais qui croient y suppléer en distinguant les vérités mathématiques de celles qui ont un autre objet que la quantité. Les Savans de tous les siecles ayant pris plaisir à rendre leurs propositions aussi universelles qu’il leur étoit possible, & ayant trouvé plus de facilité à le faire dans les mathématiques que dans quelque autre science que ce fût, il en est arrivé que presque toutes les propositions de cette science ont eu des hypothèses aussi étendues que leurs thèses, & par conséquent des converses aussi vraies qu’elles ; ce qui a porté quelques esprits peu profonds à conclure par une induction précipitée, qu’il suffisoit qu’une proposition certaine eût pour objet quelque branche des Mathématiques pour que sa converse fût certaine aussi ; & quand ils ont rencontré dans leurs lectures géométriques des théorèmes dont la converse étoit fausse, où ils n’y ont pas fait attention, où ils ont attribué cette fausseté à la malhabileté de l’auteur, qui avoit pris pour converse d’une proposition ce qui ne l’étoit pas précisément. Une conséquence naturelle de leur opinion a été,