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scurité sur la pensée : ordo est, disoient-ils ; & ils arrangeoient alors les mots selon l’ordre de la construction analytique, sans se douter que jamais on s’avisât de soupçonner de la rusticité dans un moyen si raisonnable.

Messieurs Pluche & Chompré me répondront qu’ils ne prétendent point que l’on renonce à l’étude des principes grammaticaux fondés sur l’analyse de la pensée. Le sixieme exercice consiste, selon M. Pluche, (Méch. page 155.) à rappeller fidellement aux définitions, aux inflexions, & aux petites regles élémentaires, les parties qui composent chaque phrase latine. Fort bien : mais cet exercice ne vient qu’après que la traduction est entierement faite ; & vous conviendrez apparemment que vos remarques grammaticales ne peuvent plus alors y être d’aucun secours. Je sais bien que vous me repliquerez que ces observations prépareront toûjours les esprits pour entreprendre avec plus d’aisance une autre traduction dans un autre tems. Cela est vrai, mais si vous en aviez fait un exercice préliminaire à la traduction de la phrase même qui y donne lieu, vous en auriez tiré un profit & plus prompt, & plus grand ; plus prompt, parce que vous auriez recueilli sur le champ dans la traduction, le fruit des observations que vous auriez semées dans l’exercice préliminaire ; plus grand, parce que l’application étant faite plutôt & plus immédiatement, l’exemple est mieux adapté à la regle qui en devient plus claire, & la regle répand plus de lumiere sur l’exemple dont le sens en est mieux développé. J’ajoûte que vous augmenteriez de beaucoup le profit de cet exercice pour parvenir à votre traduction, si la théorie de vos remarques grammaticales étoit suivie d’une application pratique dans une construction faite en conséquence.

« Parlez ensuite des raisons grammaticales, dit M. Chompré (Avert. pag. 7.), des cas, des tems, &c. selon les douze maximes fondamentales, & selon les ellipses que vous aurez employées : mais parlez de tout cela avec sobriété, pour ne pas ennuyer ni rebuter les petits auditeurs, peu capables d’une longue attention. La Logique grammaticale, quelle qu’elle soit, est toûjours difficile, au-moins pour des commençans ». Ce que je viens de dire à M. Pluche, je le dis à M. Chompré ; mais j’ajoûte que quelque difficile qu’on puisse imaginer la Logique grammaticale, c’est pourtant le seul moyen sûr que l’on puisse employer pour introduire les commençans à l’étude des langues anciennes. Il faut assûrément faire quelque fonds sur leur mémoire, & lui donner sa tâche ; tout le vocabulaire est de son ressort : mais les mener dans les routes obscures d’une langue qui leur est inconnue, sans leur donner le secours du flambeau de la Logique, ou en portant ce flambeau derriere eux, au lieu de les en faire précéder, c’est d’abord retarder volontairement & rendre incertains les progrès qu’ils peuvent y faire ; & c’est d’ailleurs faire prendre à leur esprit la malheureuse habitude d’aller sans raisonner ; c’est, pour me servir d’un tour de M. Pluche, accoutumer leur esprit à se familiariser avec la stupidité. La Logique grammaticale, j’en conviens, a des difficultés, & même très grandes, puisqu’il y a si peu de maîtres qui paroissent l’entendre : mais d’où viennent ces difficultés, si ce n’est du peu d’application qu’on y a donné jusqu’ici, & du préjugé où l’on est, que l’étude en est seche, pénible, & peu fructueuse ? Que de bons esprits ayent le courage de se mettre au-dessus de ces préjugés, & d’approfondir les principes de cette science ; & l’on en verra disparoître la sécheresse, la peine, & l’inutilité. Encore quelques Sanctius, quelques Arnauds, & quelques du Marsais ; car les progrès de l’esprit humain ont essentiellement de la lenteur ; & j’ose répondre

que ce qu’il faudra donner aux enfans de cette logique, sera clair, précis, utile, & sans difficulté. En attendant, réduisons de notre mieux les principes qui leur sont nécessaires ; nos efforts, nos erreurs mêmes, ameneront la perfection : mais il ne faut rien attendre que la barbarie, d’un abandon absolu, ou d’une routine aveugle.

Encore un mot sur cette harmonie enchanteresse, à laquelle on sacrifie la construction analytique, quoiqu’elle soit fondée sur des principes de Logique, qui ont d’autant plus de droit de me paroître sûrs, qu’ils réunissent en leur faveur l’unanimité des Grammairiens de tous les tems. M. Pluche & M. Chompré sentent-ils bien les différences harmoniques de ces trois constructions également latines, puisqu’elles sont également de Cicéron : legi tuas litteras, litteras tuas accepi, tuas accipio litteras ? S’ils démêlent ces différences & leurs causes, ils feront bien de communiquer au public leurs lumieres sur un objet si intéressant ; elles en seront d’autant mieux accueillies, qu’ils sont les seuls apparemment qui puissent lui faire ce présent ; & ils doivent s’y prêter d’autant plus volontiers, que cette théorie est le fondement de leur système d’enseignement, qui ne peut avoir de solidité que celle qu’il tire de son premier principe : encore faudra-t-il qu’ils y ajoutent la preuve que les droits de cette harmonie sont inviolables, & ne doivent pas même céder à ceux de la raison & de l’intelligence. Mais convenons plutôt que par rapport à la raison toutes les constructions sont bonnes, si elles sont claires ; que la clarté de l’énonciation est le seul objet de la Grammaire, & la seule vûe qu’il faille se proposer dans l’étude des élémens d’une langue ; que l’harmonie, l’élégance, la parure, sont des objets d’un second ordre, qui n’ont & ne doivent avoir lieu qu’après la clarté, & jamais à ses dépens ; & que l’étude de ces agrémens ne doit venir qu’après celle des élémens fondamentaux, à-moins qu’on ne veuille rendre inutiles ses efforts, en les étouffant par le concours.

Au surplus, qui empêche un maître habile, après qu’il a conduit ses éleves à l’intelligence du sens, par l’analyse & la construction grammaticale, de leur faire remarquer les beautés accessoires qui peuvent se trouver dans la construction usuelle ? Quand ils entendent le sens du texte, & qu’ils sont prévenus sur les effets pittoresques de la disposition où les mots s’y trouvent, qu’on le leur fasse relire sans dérangement ; leur oreille en sera frappée bien plus agréablement & plus utilement, parce que l’ame prêtera à l’organe sa sensibilité, & l’esprit, sa lumiere. Le petit inconvénient résulté de la construction, s’il y en a un, sera amplement compensé par ce dernier exercice ; & tous les intérêts seront conciliés.

J’espere que ceux dont j’ai osé ici contredire les assertions, me pardonneront une liberté dont ils m’ont donné l’exemple. Ce n’est point une leçon que j’ai prétendu leur donner ; quod si facerem, te erudiens, jure reprehenderer. Cic. III. de fin. Je n’ignore pas quelle est l’étendue de leurs lumieres ; mais je sais aussi quelle est l’ardeur de leur zele pour l’utilité publique. Voilà ce qui m’a encouragé à exposer en détail les titres justificatifs d’une méthode qu’ils condamnent, & d’un principe qu’ils desapprouvent : mais je ne prétens point prononcer définitivement ; je n’ai voulu que mettre les pieces sur le bureau : le public prononcera. Nos qui sequimur probabilia, nec ultrà id quod verisimile occurrerit progredi possumus, & refellere sine pertinaciâ, & refelli sine iracundiâ parati sumus. Cic. Tusc. II. ij. 5. (B. E. R. M.)

INVESTIR, (Art milit.) Investir une place, c’est