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Froissard en divers endroits de son histoire. Voici ce que dit sur cela le président Fauchet en peu de mots.

« La lance qui aussi s’appelloit bois, je crois par excellence & encore glaive, & puis quand elles furent grosses, bourdons & bourdonnasses ; quand elles furent creuses, se dit Philippes de Comines, en parlant de la bataille de Fournoue, mais le même Comines témoigne qu’elles étoient creuses. Quant à la lance, elle a toujours été arme de cavalier, plus longue toutefois que celles d’aujourd’hui, comme celles des Polonois, laquelle encore que les chevaliers n’eussent point d’arrêt ferme, à cause que leurs hauberts étoient de mailles, on n’eut su où les clouer (ces arrêts) sur les mailles, les chevaliers ne laissoient pas de clouer sur l’arson de la selle de leurs chevaux, je crois bandée à l’angloise ; mais il ne me souvient point d’avoir vu peintes des lances qui eussent des poignées comme aujourd’hui, avant l’an 1300, ains toutes unies depuis le fer jusqu’à l’autre bout, comme javelines, lesquelles, même du tems de Froissard, les chevaliers étant descendus à pié, rognoient pour mieux s’en aider au poussis. En ce tems-là, les chevaliers croyoient que les meilleurs fers de lances venoient de Bourdeaux . . . . . Après l’envahie, eslais ou course du tems de Froissard, il falloit mettre pié à terre, rogner son glaive, c’est-à-dire sa lance, & d’icelui pousser tant qu’on eût renversé son ennemi ; cependant choisissant la faute de son harnois pour le blesser & tuer. Et lors ceux qui étoient plus adroits & avoient meilleure haleine pour durer à ce poussis de lance, étoient estimés les plus experts hommes d’armes, c’est-à-dire dextres, & rusés, & experts ».

On ornoit les lances d’une banderole auprès du fer, & cet ornement avoit bonne grace ; c’étoit une coutume très-ancienne, & dès le tems des croisades.

D’ordinaire, dans ces rudes chocs, les lances se fracassoient & sautoient en éclats. C’est pourquoi dans les tournois pour dire faire un assaut de lances, on disoit rompre une lance ; ainsi le combat de cheval, quand il se faisoit à la lance, ne duroit qu’un moment. On la jettoit après le premier choc, & on en venoit à l’épée. Guillaume Guiart, en racontant la descente de S. Louis à Damiette, dit :

Après le froissis des lances,
Qui jà sont par terre semées,
Portent mains à blanches épées,
Desquelles ils s’entre-envahissent
Hiaumes, & bacinets tentissent,
Et plusieurs autres ferrures,
Coutiaux très-perçans armures.

Quand, dans le combat de deux troupes de gendarmerie l’une contre l’autre, on voyoit dans l’une les lances levées, c’étoit un signe d’une prochaine déroute. C’est ce qu’observe d’Aubigné dans la relation de la bataille de Coutras. En effet, cela marquoit que les gendarmes ne pouvoient plus faire usage de leurs lances, parce qu’ils étoient serrés de trop près par les ennemis.

L’usage des lances cessa en France beaucoup avant le tems que les compagnies d’ordonnance fussent réduites à la gendarmerie d’aujourd’hui. Et le prince Maurice l’abolit entiérement dans les armées de Hollande. Il en eut une raison particuliere : c’est que les pays où il soutenoit la guerre contre les Espagnols sont marécageux, coupés de canaux & de rivieres, fourrés & inégaux, & qu’il falloit pour les lanciers des pays plats & unis, où ils pussent faire un assez grand front, & courir à bride abattue sur la même ligne, dès qu’ils avoient pris carriere,

c’est-à-dire dès qu’ils commençoient à piquer, ce qu’ils faisoient d’ordinaire à soixante pas de l’ennemi.

Mais il eut encore d’autres raisons qui lui furent communes avec la France. Les lanciers jusques à ce tems-là étoient presque tous gentilshommes ; & même Henri III. par son ordonnance de 1575, avoit déclaré que non seulement les lanciers, mais encore les archers des ordonnances devoient être de noble race. Or les guerres civiles avoient fait périr une infinité de noblesse en France, aussi-bien que dans les Pays bas, ce qui faisoit qu’on avoit peine à fournir de gentilshommes les compagnies d’ordonnance.

Secondement, il falloit que les lanciers eussent de grands chevaux de bataille très-forts, de même taille, dressés avec grand soin, & très-maniables pour tous les mouvemens que demandoit le combat avec la lance. Il étoit difficile d’en trouver un grand nombre de cette sorte, ils coutoient beaucoup d’argent, & bien des gentilshommes n’étoient pas en état de faire cette dépense ; les guerres civiles ayant ruiné & désolé la France & les Pays bas.

Troisiemement, le combat de la lance supposoit une grande habitude pour s’en bien servir, & un exercice très-fréquent où l’on élevoit les jeunes gentilshommes. L’habileté à manier cette arme s’acquéroit dans les tournois & dans les académies ; les guerres civiles ne permettoient plus guere depuis long-tems l’usage des tournois ; & la jeune noblesse, pour la plûpart, s’engageoit dans les troupes sans avoir fait d’académie, & par conséquent n’étoit guere habile à se servir de la lance. Toutes ces raisons firent qu’on abandonna la lance peu à peu, & qu’on ne s’en servoit plus guere sous le regne de Henri IV. Il ne paroît point par notre histoire qu’il y ait eu d’ordonnance pour abolir cet usage. Mais George Basta, fameux capitaine dans les armées de Philippe II. roi d’Espagne, & celles de l’Empire, marque expressément le retranchement des lances dans les armées françoises sous Henri IV. car il écrivoit du tems de ce prince ; c’est dans l’ouvrage qu’il publia sur le gouvernement de la cavalerie légere, où voici comme il parle : « L’introduction des cuirasses, c’est à-dire des escadrons de cuirassiers en France, avec un total bannissement des lances, a donné occasion de discourir quelle armure seroit la meilleure, &c ». C’est donc en ce tems-là que les lances furent abolies en France. Les Espagnols s’en servirent encore depuis, mais ils en avoient peu dans leurs troupes. Les Espagnols seuls, dit le duc de Rohan dans son Traité de la guerre, dédié à Louis XIII, ont encore retenu quelques compagnies de lances, qu’ils conservent plutôt par gravité que par raison : car la lance ne fait effet que par la roideur de la course du cheval, & encore il n’y a qu’un rang qui s’en puisse servir, tellement que leur ordre ne doit être de combattre en haie, ce qui ne peut résister aux escadrons ; & si elles combattoient en escadrons, elles feroient plus d’embarras que de service.

On voit par ce que je viens de dire, l’époque de l’abolition des lances en France, arme que les François avoient su manier de son tems mieux qu’aucune autre nation. On ne s’en sert plus aujourd’hui que dans les courses de bagues, & quelques semblables exercices utiles autrefois par rapport à la guerre, & qui ne sont plus maintenant que de purs divertissemens. Hist. de la milice françoise, par le P. Daniel.

Lance, (Hist. de la Chevalerie) du tems de l’ancienne chevalerie, le combat de la lance à cours de cheval étoit fort en usage, & passoit même pour la plus noble des joûtes. Un chevalier tient ce propos à son adversaire dans le roman de Florés de