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mais la plaisanterie de Macrobe n’en est pas moins juste.

Les Lares domestiques étoient à plus forte raison représentés sous la figure de petits marmousets d’argent, d’ivoire, de bois, de cire, & autres matieres ; car chacun en agissoit envers eux, suivant ses facultés. Dans les maisons bourgeoises, on mettoit ces petits marmousets derriere la porte, ou au coin du foyer, qui est encore appellé la lar dans quelques endroits du Languedoc. Les gens qui vivoient plus à leur aise, les plaçoient dans leurs vestibules ; les grands seigneurs les tenoient dans une chapelle nommée Laraire, & avoient un domestique chargé du service de ces dieux ; c’étoit chez les empereurs l’emploi d’un affranchi.

Les dévers aux dieux Lares leur offroient souvent du vin, de la farine, & de la desserte de leurs tables ; ils les couronnoient dans des jours heureux, ou dans certains jours de fêtes, d’herbes & de fleurs, sur-tout de violettes, de thym, & de romarin ; ils leur brûloient de l’encens & des parfums. Enfin, ils mettoient devant leurs statues, des lampes allumées : je tire la preuve de ce dernier fait peu connu, d’une lampe de cuivre à deux branches, qu’on trouva sous terre à Lyon en 1505. Les mains de cette lampe entouroient un petit pié-d’estal de marbre, sur lequel étoit cette inscription : Laribus sacrum, P. F. Rom. qui veut dire, publica felicitati Romanorum. Il eût été agréable de trouver aussi le dieu Lare, mais apparemment que les ouvriers le mirent en pieces en fouillant.

Quand les jeunes enfans de qualité étoient parvenus à l’âge de quitter leurs bulles, petites pieces d’or en forme de cœur, qu’ils portoient sur la poitrine, ils venoient les pendre au cou des dieux Lares, & leur en faire hommage. « Trois de ces enfans, revétus de robes blanches, dit Pétrone, entrerent alors dans la chambre : deux d’entre eux poserent sur la table les Lares ornés de bulles ; le troisieme tournant tout-autour avec une coupe pleine de vin, s’écrioit : Que ces dieux nous soient favorables » !

Les bonnes gens qui leur attribuoient tous les biens & les maux qui arrivoient dans les familles, & leur faisoient des sacrifices pour les remercier ou pour les adoucir ; mais d’autres d’un caractere difficile à contenter, se plaignoient toûjours, comme la Philis d’Horace, de l’injustice de leurs dieux domestiques.

Et Penates
Mæret iniquos.

Caligula que je dois au-moins regarder comme un brutal, fit jetter les siens par la fenêtre, parce qu’il étoit, disoit-il, très-mécontent de leur service.

Les voyageurs religieux portoient toûjours avec eux dans leurs hardes quelque petite statue de dieux Lares ; mais Cicéron craignant de fatiguer sa Minerve dans le voyage qu’il fit avant que de se rendre en exil, la déposa par respect au Capitole.

La victime ordinaire qu’on leur sacrifioit en public, étoit un porc : Plaute appelle ces animaux en badinant porcs sacrés. Ménechme, Act. II. sc. 2. demande combien on les vend, parce qu’il en veut acheter un, afin que Cylindrus l’offre aux dieux Lares, pour être délivré de sa démence.

La flaterie des Romains mit Auguste au rang des dieux Lares, voulant déclarer par cette adulation, que chacun devoit le reconnoître pour le défenseur & le conservateur de sa famille. Mais cette déification parut dans un tems peu favorable ; personne ne croyoit plus aux dieux Lares, & l’on n’étoit pas plus croyant aux vertus d’Auguste : on ne le regardoit que comme un heureux usurpateur de la tyrannie.

J’ai oublié d’observer que les Lares s’appelloient aussi Præstites, comme qui diroit gardiens des portes,

quòd præstant oculis omnia tuta suis, dit Ovide dans ses Fastes. J’ajoute que les auteurs latins ont quelquefois employés le mot Lar, pour exprimer une famille entiere, l’état & la fortune d’une personne, parvo sub lare, paterni laris inops, dit Horace.

On peut consulter sur cette matiere, les dictionnaires d’antiquités romaines, les recueils d’inscriptions & de monumens, les recherches de Spon, Casaubon sur Suetone, Lambin, sur le prologue de l’Aulularia de Plaute, & si l’on veut Vossius de Idololatriâ ; mais je doute qu’on prenne tant de peines dans notre pays. (D. J.)

LARGE, adj. (Gram.) voyez l’article Largeur.

Large, pour au large, (Marine.) cri que fait la sentinelle pour empêcher une chaloupe, ou un autre bâtiment, d’approcher du vaisseau.

Courir au large, c’est s’éloigner de la côte ou de quelque vaisseau.

Se mettre au large, c’est s’élever & s’avancer en mer.

La mer vient du large, c’est-à-dire que les vagues sont poussées par le vent de la mer, & non pas par celui de la terre.

Large, grand & petit large, (Draperie.) voyez l’article Draperie.

Large, (Maréch.) se dit du rein, des jarrets, de la croupe, & des jambes. Voyez ces mots. Aller large, voyez Aller.

Large, Largement, (Peinture.) peindre large n’est pas, ainsi qu’on le pourroit croire, donner de grands coups de pinceau bien larges ; mais en n’exprimant point trop les petites parties des objets qu’on imite, & en les réunissant sur des masses générales de lumieres & d’ombres qui donnent un certain spécieux à chacune des parties de ces objets, & conséquemment au tout, & le font paroître beaucoup plus grand qu’il n’est réellement ; faire autrement, c’est ce qu’on appelle avoir une maniere petite & mesquine, qui ne produit qu’un mauvais effet.

Large, (Vénerie.) faire large se dit en Fauconnerie de l’oiseau lorsqu’il écarte les aîles, ce qui marque en lui de la santé.

LARGESSES, s. f. pl. (Hist.) dons, présens, libéralités. Les largesses s’introduisirent à Rome avec la corruption des mœurs, & pour lors les suffrages ne se donnerent qu’au plus libéral. Les largesses que ceux des Romains qui aspiroient aux charges, prodiguoient au peuple sur la fin de la république, consistoient en argent, en blé, en pois, en féves ; & la dépense à cet égard étoit si prodigieuse que plusieurs s’y ruinerent absolument. Je ne citerai d’autre exemple que celui de Jules-César, qui, partant pour l’Espagne après sa préture, dit qu’attendu ses dépenses en largesses il auroit besoin de trois cens trente millions pour se trouver encore vis-à-vis de rien, parce qu’il devoit cette somme au-dela de son patrimoine. Il falloit nécessairement dans cette position qu’il pérît ou renversât l’état, & l’un & l’autre arriverent. Mais les choses étoient montées au point que les empereurs, pour se maintenir sur le trône, furent obligés de continuer à répandre des largesses au peuple : ces largesses prirent le nom de congiaires ; & celles qu’ils faisoient aux troupes, celui de donatifs. Voyez Congiaires & Donatifs.

Enfin dans notre histoire on appella largesses quelques legeres libéralités que nos rois distribuoient au peuple dans certains jours solemnels. Ils faisoient apporter des hanaps ou des coupes pleines d’especes d’or & d’argent ; & après que les hérauts avoient crié largesses, on les distribuoit au public. Il est dit dans le Cérémonial de France, tom. II. p. 742, qu’à l’entrevûe de Francois I. & d’Henri VIII. près de Guignes, l’an 1520, « pendant le festin il y eut lar-