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On nomma de même dans la suite d’autres légats, tant pour cette croisade, que pour les suivantes.

Les premiers légats n’exigeoient aucun droit dans les provinces de leur légation ; mais leurs successeurs ne furent pas si modérés. Grégoire VII. fit promettre à tous les métropolitains en leur donnant le pallium, qu’ils recevroient honorablement les légats du saint siége ; ce qui fut étendu à toutes les églises dont les légats tirerent des sommes immenses. Quelque respect que S. Bernard eût pour tout ce qui avoit quelque rapport avec le saint siége, il ne put s’empêcher, non plus que les autres auteurs de son tems, de se récrier contre les exactions & les autres excès des légats. Ces plaintes firent que les papes rendirent les légations moins fréquentes, voyant qu’elles s’avilissoient ; néanmoins ces derniers légats ont eu plus d’autorité par rapport aux bénéfices, que ceux qui les avoient précédés, attendu que les papes qui s’en étoient attribué la disposition par plusieurs voies différentes, au préjudice des collateurs ordinaires, donnerent aux légats le pouvoir d’en disposer comme ils faisoient eux-mêmes.

On remarque que dès le xij. siecle, on distinguoit deux sortes de légats ; les uns étoient des évêques ou abbés du pays ; d’autres étoient envoyés de Rome ; les légats pris sur les lieux étoient aussi de deux sortes ; les uns établis par commission particuliere du pape, les autres par la prérogative de leur siége, & ceux-ci se disoient légats nés, tels que les archevêques de Mayence & de Cantorbéry, &c.

Les légats envoyés de Rome se nommoient légats à latere, pour marquer que le pape les avoit envoyés d’auprès de sa personne. Cette expression étoit tirée du concile de Sardique en 347 ; nos rois donnoient aussi ce titre à ceux qu’ils détachoient d’auprès de leur personne, pour envoyer en différentes commissions, ainsi qu’on le peut voir dans Grégoire de Tours, liv. IV. ch. xiij. & dans la vie de Louis-le-Débonnaire, qui a été ajoutée à la continuation d’Aimoin.

Les légats à latere tiennent le premier rang entre ceux qui sont honorés de la légation du saint siége ; suivant l’usage des derniers siecles, ce sont des cardinaux que le pape tire du sacré collége, qui est regardé comme son conseil ordinaire, pour les envoyer dans différens états avec la plénitude du pouvoir apostolique. Comme ils sont supérieurs aux autres en dignité, ils ont aussi un pouvoir beaucoup plus étendu, & singulierement pour la collation des bénéfices, ainsi qu’il résulte du chapitre officii, de officio legati, in-6°.

Ceux qui sont honorés de la légation sans être cardinaux, sont les nonces & les internonces, lesquels exercent une jurisdiction dans quelques pays. Leurs pouvoirs sont moins étendus que ceux des légats cardinaux : on ajoute dans leurs facultés qu’ils sont envoyés avec une puissance pareille à celle des légats à latere, lorsqu’avant de partir ils ont touché le bout de la robe du pape, ou qu’ils ont reçu eux-mêmes leur ordre de la propre bouche de sa sainteté.

Les nonces n’exerçant en France aucune jurisdiction, on n’y reconnoît de légats envoyés par les papes, que ceux qui ont la qualité de légats à latere.

Les légats nés sont des archevêques aux siéges desquels est attachée la qualité de légat du saint siége ; nous avons déja parlé de ceux de Mayence & de Cantorbéry ; en France, les archevêques de Reims & d’Arles prennent aussi ce titre ; ce qui vient de ce que leurs prédécesseurs ont été vicaires du saint siége. Saint Remy est le seul entre les archevêques de Reims, qui ait eu cette dignité sur tout le royaume de Clovis. A l’égard des archevêques d’Arles, plusieurs d’entre eux ont été successivement honorés de la légation. A présent ce n’est plus qu’un titre

d’honneur pour ces deux prélats, & qui ne leur donne aucune prééminence, ni aucune fonction.

La légation des cardinaux donnant atteinte au droit des ordinaires, dont le roi est le protecteur, & attribuant une grande autorité à celui qui en est revêtu, le pape est obligé avant que d’envoyer un légat en France, de donner avis au roi de la légation, des motifs qui l’engagent à envoyer un légat, & de savoir du roi si la personne chargée de cet emploi, lui sera agréable.

Cet usage précieux est exprimé dans l’article 2. de nos libertés, qui porte que le pape n’envoye point en France de légats à latere, avec faculté de reformer, juger, conférer, dispenser, & telles autres qui ont accoutumé d’être spécifiées par les bulles de leur pouvoir, sinon à la postulation du roi très-chrétien, ou de son consentement.

Aussi n’a-t-on point reçu en France la constitution de Jean XXII. qui prétendoit avoir le droit d’envoyer des légats quand il lui plairoit dans tous les états catholiques sans la permission des souverains. On peut voir dans le chap. xxiij. des preuves de nos libertés, les permissions accordées par nos rois pour les légations depuis Philippe-le-Bel : ces papes eux-mêmes avoient observé d’obtenir cette permission sous la premiere race de nos rois. S. Grégoire qui étoit des plus attentifs à conserver les droits du saint siége, & même à les augmenter, voulant envoyer un légat en France, le proposa à la reine Brunehaut, & lui dit dans sa lettre ut personam, si præcipitis, cum vestræ autoritatis assensu transmittamus.

Le légat arrivé en France avec la permission du roi, fait présenter au roi la bulle de sa légation contenant tous ses pouvoirs ; le roi donne des lettres patentes sur cette bulle : ces deux pieces sont portées au parlement, lequel en enregistrant l’une & l’autre, met les modifications qu’il juge nécessaires pour la conservation des droits du roi, & des libertés de l’église gallicane.

Comme les papes ont toûjours souffert impatiemment ces modifications, on ne les met point sur le repli des bulles, on y marque seulement qu’elles ont été vérifiées, & l’on fait savoir au légat par un acte particulier les modifications portées par l’arrêt d’enregistrement.

La bulle des facultés du légat doit être enregistrée dans tous les parlemens sur lesquels doit s’étendre sa légation. Si la bulle ne faisoit mention que de la France, la légation ne s’étendroit pas sur les archevêchés de Lyon, de Vienne, & de Besançon, parce que ces provinces étoient autrefois du royaume de Bourgogne, suivant le style ordinaire de Rome, qui ne change guere. Le légat n’exerce sa jurisdiction dans ces provinces, que quand la bulle porte in Franciam & adjacentes provincias.

Aussi-tôt que les légats ont reçu l’enregistrement de leurs bulles, ils promettent & jurent au roi par un écrit sous seing-privé, qu’ils ne prendront-la qualité de légats, & n’en feront les fonctions, qu’autant qu’il plaira à Sa Majesté ; qu’ils n’useront que des pouvoirs que le roi a autorisés, & qu’ils ne feront rien contre les saints decrets reçus en France, ni contre les libertés de l’église gallicane.

Le légat, en signe de sa jurisdiction, fait porter devant lui sa croix levée ; en Italie, il la fait porter dès qu’il est sorti de la ville de Rome ; mais lorsqu’il arrive en France, il est obligé de la quitter, & ne la peut reprendre qu’après la vérification de ses bulles & la promesse faite au roi de se conformer aux usages de France. Louis XI. fit ajoûter aux modifications des pouvoirs du cardinal de S. Pierre-aux-liens, qu’il ne pourroit faire porter sa croix haute en présence du roi.

Il est d’usage en France, lorsque le légat entre