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naît de la fréquence & de l’énergie des perceptions précédentes.

L’effet d’une seule impression forte équivaut quelquefois à l’effet habituel & réitéré d’une impression foible & durable.

Les hommes ont de commun avec les animaux le principe qui lie leurs perceptions. La mémoire est la même en eux. La mémoire est un médecin empyrique qui agit par expérience sans théorie.

C’est la connoissance des vérités nécessaires & éternelles qui distingue l’homme de la bête. C’est elle qui fait en nous la raison & la science, l’ame. C’est à la connoissance des vérités nécessaires & éternelles, & à leurs abstractions qu’il faut rapporter ces actes réfléchis qui nous donnent la conscience de nous.

Ces actes réfléchis sont la source la plus féconde de nos raisonnemens. C’est l’échelle par laquelle nous nous élevons à la pensée de l’être, de la substance simple ou complexe, de l’immatériel, de l’éternel, de Dieu. Nous concevons que ce qui est limité en nous, existe en lui sans limites.

Nos raisonnemens ont deux grandes bases, l’une est le principe de contradiction, l’autre est le principe de raison suffisante.

Nous regardons comme faux tout ce qui implique contradiction, nous pensons que rien n’est sans une raison suffisante, pourquoi cela est ainsi & non autrement, quoique souvent cette raison ne nous soit pas connue. Ce principe n’est pas nouveau ; Les anciens l’ont employé.

Si une vérité est nécessaire, on peut la résoudre dans ses élémens, & parvenir par analyse ou voie de décomposition à des idées primitives, où se consomme la démonstration.

Il y a des idées simples qui ne se définissent point. Il y a aussi des axiomes, des demandes, des principes primitifs qui ne se prouvent point. La preuve & la définition seroient identiques à l’énonciation.

On peut découvrir la raison suffisante dans les choses contingentes ou de fait. Elle est dans l’enchaînement universel : il y a une résolution ou analyse successive de causes ou raisons particulieres, à d’autres raisons ou causes particulieres, & ainsi de suite.

Cependant toute cette suite ne nous menant que de contingence en contingence, & la derniere n’exigeant pas moins une analyse progressive que la premiere, on ne peut s’arrêter : pour arriver à la certitude, il faut tenir la raison suffisante ou derniere, fût-elle à l’infini.

Mais où est cette raison suffisante & derniere, sinon dans quelque substance nécessaire, source & principe de toutes mutations ?

Et quelle est cette substance, terme dernier de la serie, sinon Dieu ? Dieu est donc, & il suffit.

Cette substance une, suprême, universelle, nécessaire n’a rien hors d’elle qui n’en dépende. Elle est donc illimitée, elle contient donc toute réalité possible, elle est donc parfaite ; car qu’est-ce que la perfection, sinon l’illimité d’une grandeur réelle & positive ?

D’où il suit que la créature tient de Dieu sa perfection & les imperfections de sa nature, de son essence incapable de l’illimité. Voilà ce qui la distingue de Dieu.

Dieu est la source & des existences & des essences, & de ce qu’il y a de réel dans le possible. L’entendement divin est le sein des vérités essentielles. Sans Dieu, rien de réel ni dans le possible, ni dans l’existant, ni même dans le néant.

En effet, s’il y a quelque réalité dans les essences, dans les existences, dans les possibilités, cette réa-

lité est fondée dans quelque chose d’existant & de

réel, & conséquemment dans la nécessité d’un être auquel il suffise d’être possible pour être existant. Ceci n’est que la démonstration de Descartes retournée.

Dieu est le seul être qui ait ce privilege d’être nécessairement, s’il est possible ; or rien ne montrant de la contradiction dans sa possibilité, son existence est donc démontrée à priori. Elle l’est encore à posteriori, car les contingens sont ; or ces contingens n’ont de raison suffisante & derniere que dans un être nécessaire, ou qui ait en lui-même la raison de son existence.

Il ne faut pas inférer de-là que les vérités éternelles qui ne se voient pas sans Dieu, soient dépendantes de sa volonté & arbitraires.

Dieu est une unité ou substance simple, origine de toutes les monades créées, qui en sont émanées, pour ainsi dire, par des fulgurations continuelles. Nous nous sommes servis de ce mot fulguration, parce que nous n’en connoissons point d’autre qui lui réponde. Au reste, cette idée de Leibnitz est toute platonicienne, & pour la subtilité & pour la sublimité.

Il y a en Dieu puissance, entendement & volonté ; puissance, qui est l’origine de tout ; entendement, où est le modele de tout ; volonté, par qui tout s’exécute pour le mieux.

Il y a aussi dans la monade les mêmes qualités correspondantes, perception & appétit ; mais perception limitée, appétit fini.

On dit que la créature agit hors d’elle-même, & souffre. Elle agit hors d’elle-même entant que parfaite, elle souffre entant qu’imparfaite.

La monade est active entant qu’elle a des perceptions distinctes, passive entant qu’elle a des perceptions confuses.

Une créature n’est plus ou moins parfaite qu’une autre, que par le principe qui la rend capable d’expliquer ce qui se passe dans elle & dans une autre ; c’est ainsi qu’elle agit sur celle-ci.

Mais dans les substances simples, l’influence d’une monade, par exemple, est purement idéale : elle n’a d’effet que par l’entremise de Dieu. Dans les idées de Dieu, l’action d’une monade se lie à l’action d’une autre, & il est la raison de l’action de toutes : c’est son entendement qui forme leurs dépendances mutuelles.

Ce qu’il y a d’actif & de passif dans les créatures, est réciproque. Dieu comparant deux substances simples, apperçoit dans l’une & l’autre la raison qui oblige l’une à l’autre. L’une est active sous un aspect, & passive sous un autre aspect ; active en ce qu’elle sert à rendre raison de ce qui arrive dans ce qui procede d’elle ; passive en ce qu’elle sert à rendre raison de ce qui arrive dans ce dont elle procede.

Cependant comme il y a une infinité de combinaisons & de mondes possibles dans les idées de Dieu, & que de ces mondes il n’en peut exister qu’un, il faut qu’il y ait une certaine raison suffisante de son choix ; or cette raison ne peut être que dans le différent degré de perfection, d’où il s’ensuit que le monde qui est, est le plus parfait. Dieu l’a choisi dans sa sagesse, connu dans sa bonté, produit dans la plénitude de sa puissance. Voilà comme Leibnitz en est venu à son système d’optimisme.

Par cette correspondance d’une chose créée à une autre, & de chacune à toutes, on conçoit qu’il y a dans chaque substance simple des rapports d’après lesquels, avec une intelligence proportionnée au tout, une monade étant donnée, l’univers entier le seroit. Une monade est donc une espece de miroir représentatif de tous les êtres & de tous les phénomenes. Cette idée que les petits esprits prendront pour une vision, est celle d’un homme de génie : pour le sentir, il n’y a qu’à la raprocher de son principe d’enchaînement & de son principe de dissimilitude.