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qui étant mal écrit & mal conçu, fit voir une ignorance qui n’est pas pardonnable dans un homme de condition, & que le poste qu’il désiroit ne supportoit point ; aussi n’en fut-il point pourvû.

On voit par cet exemple que l’art d’écrire est aussi nécessaire aux grands qu’aux petits. Un roi, un prince, un ministre, un magistrat, un officier, peuvent se dispenser de savoir peindre, jouer d’un instrument, mais ils ne peuvent assez ignorer l’écriture pour ne la pas former au moins dans un goût simple & facile à lire. Ce n’est pas, me dira-t-on, qu’on refuse de leur donner des maîtres dans leur bas âge, il est vrai, mais a-t-on fait un bon choix ? Il arrive tous les jours que des gens inconnus & d’une foible capacité sont admis pour instruire d’un art dont ils n’ont eux-mêmes qu’une légere teinture, & sur-tout de celui d’écrire, qui a le caractere unique d’être utile jusqu’au dernier instant de la vie. Dans tel genre de talens que ce soit, un bon maître doit être recherché, considéré & récompensé. Par son habileté & son expérience, on apprend dans le beau, dans le naturel, & d’une maniere qui ne se corrompt point, & qui se soutient toujours, parce que son enseignement est établi sur des principes certains & vrais. Je ne puis mieux donner pour imitation que ce qui a été observé aux éducations de deux princes vivans pour le bonheur des hommes. Ce sont M. le duc d’Orléans & M. le prince de Condé. Tous deux écrivent avec goût & avec grace ; tous deux ont appris de maîtres titrés, écrivains habiles, & qui avoient donné des preuves de leur supériorité. Ce qui s’est exécuté dans l’établissement de l’école royale militaire, assure encore mon sentiment. On a fait choix pour l’écriture de maîtres connus, approuvés, & connoissant à fond leur art ; ce qui prouve que M. Paris du Verney, à qui rien n’échappe, le regarde comme une des parties essentielles de l’éducation de la jeune noblesse qu’on y éleve. On peut dire, à la louange de ce grand homme, que les talens sont bien reçus chez lui, & que l’écriture y tient une place honorable. Le siecle de Colbert renaîtroit assurément, s’il étoit à portée, comme ce ministre, de favoriser les bons écrivains.

Je me suis un peu étendu sur l’art d’écrire, parce que j’ai cru qu’il étoit nécessaire de faire sentir combien on avoit tort de le négliger. Une fois persuadé de cette vérité, on doit encore être certain que l’écriture ne s’apprend que par des principes. Personne, je crois, ne met en doute qu’il n’est point d’art qui n’en soit pourvu, & il seroit absurde de soutenir que l’écriture en est exemte. Si elle étoit naturelle à l’homme, c’est-à-dire, qu’il pût écrire avec grace & proprement dès qu’il en auroit la volonté & sans l’avoir apprise, alors je conviendrois que cet art seroit le seul qui ne fût pas fondé sur les regles. Mais on sait que les arts ne s’apprennent point sans le secours des maîtres & sans les principes. Comme il faut tous ces secours, moins à la vérité pour des seigneurs, qui n’ont besoin que d’une écriture simple & réguliere, & plus pour ceux qui veulent approfondir l’art, il est clair que dans l’un & l’autre cas, on doit être enseigné par de bons maîtres & par les principes. Mais il ne faut pas que ces principes soient confus & multipliés ; ils doivent être au contraire simples, naturels & démontrés si sensiblement, qu’on puisse soi-même connoître les défauts de son caractere, lorsqu’il n’est pas tracé dans la forme que le maître a peint à l’imagination. Tous les arts, dit avec raison M. de Voltaire, sont accablés par un nombre prodigieux de regles, dont la plûpart sont inutiles ou fausses. En effet, la multiplicité des regles & l’obscurité dont l’artiste enveloppe ses démonstrations, rebutent souvent l’éleve, qui ne peut les éclaircir par son peu d’intelligence ou de volonté.

Je n’irai pas plus loin sur la nécessité des principes dans les arts, je passe à l’origine des écritures qui sont en usage en France & à leurs caracteres distinctifs.

Trois écritures sont en usage ; la françoise ou la ronde, l’italienne ou la batarde, la coulée ou de permission.

La ronde tire son origine des caracteres gothiques modernes qui prirent naissance dans le douzieme siecle. On l’appelle françoise, parce qu’elle est la seule écriture qui soit particulierement affectée à cette nation si connue pour la perfection qu’elle communique aux arts. Voilà pour sa naissance, voyons son caractere propre.

La ronde est une écriture pleine, frappante & majestueuse. La difformité la déguise entierement. Elle veut une composition abondante ; ce n’est pas qu’elle ne flatte dans la simplicité, mais quand elle produit des effets mâles & recherchés, & qu’il y a une union intime entr’eux, elle acquiert beaucoup plus de valeur. Elle exige la perfection dans sa forme, la justesse dans ses majeures, le goût & la rectitude dans le choix & l’arrangement de ses caracteres, la délicatesse dans le toucher & la grace dans l’ensemble. Elle admet les passes & autres mouvemens, tantôt simples & tantôt compliqués, mais elle les veut conçus avec jugement, exécutés avec une vive modération & proportionnés à sa grandeur. Elle demande encore dans l’accessoire, qui sont les cadeaux & les lettres capitales, de la variété, de la hardiesse & du piquant. Cette écriture est la plus convenable à la langue françoise, qui est féconde en parties courbes.

L’italienne ou la bâtarde tire son origine des caracteres des anciens romains. Elle a le surnom de bâtarde, lequel vient, suivant les uns, de ce qu’elle n’est point en France l’écriture nationale ; & suivant les autres, de sa pente de droite à gauche. Cette pente n’a commencé à paroître dans cette écriture, qu’après les ravages que firent en Italie les Goths ou les Lombards.

L’essentiel de cette écriture consiste dans la simplicité & la précision. Elle ne veut que peu d’ornemens dans sa composition ; encore les exige-t-elle naturels & de facile imitation. Elle rejette tout ce qui sent l’extraordinaire & le surprenant. Elle a dans son caractere uni bien des difficultés à rassembler pour la peindre dans sa perfection. Il lui faut nécessairement pour flatter les yeux, une position de plume soutenue, une pente juste, des majeures simples & correctes, des liaisons délicates, de la légereté dans les rondeurs, du tendre & du moëlleux dans le toucher. Son accessoire a pour fondement le rare & le simple. Rien de mieux que les caracteres de cette écriture pour exécuter la langue latine, qui est extrémement abondante en parties droites ou jambages.

La coulée ou l’écriture de permission dérive également des deux écritures dont je viens de parler : on l’appelle de permission, parce que chacun en l’écrivant y ajoûte beaucoup de son imagination. L’origine de cette écriture est du commencement de ce siecle.

Cette écriture la plus usitée de toutes, tient comme le milieu entre les deux autres. Elle n’a ni la force & la magnificence de la premiere, ni la simplicité de le seconde. Elle approche de toutes les deux, mais sans leur ressembler ; elle reçoit dans sa composition toutes sortes de mouvemens & de variétés. Son essence est de paroître plus prompte & plus animée que les autres écritures. Elle demande dans son exécution de la facilité ; dans son expédition, de la vîtesse ; dans sa pente, de la régularité ; dans ses liaisons, de la finesse ; dans ses majeures, du feu & du