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matelats de la laine de milet, & des lits de plumes du duvet le plus fin. Non-contens de bois de lits d’ébene, de cedre & de citronnier, ils les firent enrichir de marqueterie, ou de figures en relief. Enfin ils en eurent d’ivoire & d’argent massif, avec des couvertures fines, teintes de pourpre, & rehaussées d’or.

Au reste, leurs lits, tels que les marbres antiques nous les représentent, étoient faits à-peu-près comme nos lits de repos, mais avec un dos qui régnoit le long d’un côté, & qui de l’autre s’étendoit aux piés & à la tête, n’étant ouverts que par-devant. Ces lits n’avoient point d’impériale, ni de rideaux, & ils étoient si élevés, qu’on n’y pouvoit monter sans quelque espece de gradins.

Lit de Table, lectus triclinaris, (Littér.) lit sur lequel les anciens se mettoient pour prendre leur repas dans les salles à manger.

Ils ne s’asseyoient pas comme nous pour manger, ils se couchoient sur des lits plus ou moins semblables à nos lits de salle, dont l’usage peut nous être resté de l’antiquité. Leur corps étoit élevé sur le coude gauche, afin d’avoir la liberté de manger de la main droite, & leur dos étoit soutenu par derriere avec des traversins, quand ils vouloient se reposer.

Cependant la maniere dont les Romains étoient à table, n’a pas toujours été la même dans tous les tems, mais elle a toujours paru digne de la curiosité des gens de lettres, &, si je l’ose dire, je me suis mis du nombre.

Avant la seconde guerre punique, les Romains s’asseyoient sur de simples bancs de bois, à l’exemple des héros d’Homere, ou, pour parler comme Varron, à l’exemple des Crétois & des Lacédémoniens ; car, dans toute l’Asie, on mangeoit couché sur des lits.

Scipion l’Africain fut la premiere cause innocente du changement qui se fit à cet égard. Il avoit apporté de Carthage de ces petits lits, qu’on a long-tems appellés punicani, afriquains. Ces lits étoient fort bas, d’un bois assez commun, rembourrés seulement de paille ou de foin, & couverts de peaux de chevre ou de mouton.

Un tourneur ou menuisier de Rome, nommé Archias, les imita, & les fit un peu plus propres ; ils prirent le nom de lits archiaques. Comme ils tenoient peu de place, les gens d’une condition médiocre n’en avoient encore point d’autres sous le siecle d’Auguste. Horace lui-même s’en servoit à son petit couvert ; je le prouve par le premier vers de l’épître v. du liv. VII. car c’est ainsi qu’il faut lire ce vers :

Si potes Archiacis conviva recumbere lectis.

« Si vous voulez bien, mon cher Torquatus, accepter un repas frugal, où nous serons couchés sur des lits bourgeois ».

Il est certain qu’il y avoit peu de différence pour la délicatesse entre les lits africains, apportés à Rome par Scipion, & les anciens bancs dont on se servoit auparavant. Mais l’usage de se baigner chez soi, qui s’établissoit dans ce tems-là & qui affoiblit insensiblement le corps, fit que les hommes au sortir du bain se jettoient volontiers sur des lits pour se reposer, & qu’ils trouverent commode de ne pas quitter ces lits pour manger. Ensuite la mode vint que celui qui prioit à souper, fît la galanterie du bain à ses conviés ; c’est pourquoi on observoit en bâtissant les maisons de placer la salle des bains proche de celle où l’on mangeoit.

D’un autre côté, la coutume de manger couchés sur des lits prit faveur par l’établissement de dresser pour les dieux des lits dans leurs temples aux jours de leur fête & du festin public qui l’accompagnoit ; la re-

marque est de Tite-Live, Décad. liv. I. ch. j. Il n’y

avoit presque que la fête d’Hercule où l’on ne mettoit point de lits autour de ses tables, mais seulement des sieges, suivant l’ancien usage : ce qui fait dire à Virgile, quand il en parle, hæc sacris sedes epulis. Tous les autres dieux furent traités plus délicatement. On peut voir encore aujourd’hui la figure des lits dressés dans leurs temples sur des bas-reliefs & des médailles antiques. Il y en a deux représentations dans Spanheim, l’une pour la déesse Salus, qui donne à manger à un serpent ; l’autre, au revers d’une médaille, de la jeune Faustine.

Comme les dames romaines, à la différence des dames grecques, mangeoient avec les hommes, elles ne crurent pas d’abord qu’il fût de la modestie d’être couchées à table, elles se tinrent assises sur les lits tant que dura la république ; mais elles perdirent avec les mœurs la gloire de cette constance, & depuis les premiers césars, jusques vers l’an 320 de l’ere chrétienne, elles adopterent & suivirent sans scrupule la coutume des hommes.

Pour ce qui regarde les jeunes gens qui n’avoient point encore la robe virile, on les retint plus longtems sous l’ancienne discipline. Lorsqu’on les admettoit à table, ils y étoient assis sur le bord du lit de leurs plus proches parens. Jamais, dit Suétone, les jeunes césars, Caius & Lucius, ne mangerent à la table d’Auguste, qu’ils ne fussent assis in imo loco, au bas bout.

La belle maniere de traiter chez les Romains, étoit de n’avoir que trois lits autour d’une table, un côté demeurant vuide pour le service. Un de ces trois lits étoit au milieu, & les deux autres à chaque bout ; d’où vint le nom de triclinium, donné également à la table & à la salle à manger.

Il n’y avoit guere de place sur les plus grands lits, que pour quatre personnes ; les Romains n’aimoient pas être plus de douze à une même table, & le nombre qui leur plaisoit davantage, étoit le nombre impair de trois, de sept ou de neuf : leurs lits ordinaires ne contenoient que trois personnes. Le maître de la maison se plaçoit sur le lit à droite au bout de la table, d’où voyant l’arrangement du service, il pouvoit plus facilement donner des ordres à ses domestiques ; il reservoit une place au-dessus de lui pour un des conviés, & une au-dessous pour sa femme ou quelque parent.

Le lit le plus honorable étoit celui du milieu ; ensuite venoit celui du bout à gauche : celui du bout à droite étoit censé le moindre. L’ordre pour la premiere place sur chaque lit, requéroit de n’avoir personne au-dessus de soi ; & la place la plus distinguée étoit la derniere sur le lit du milieu : on l’appelloit la place consulaire, parce qu’effectivement on la donnoit toujours à un consul quand il alloit manger chez quelque ami. L’avantage de cette place consistoit à être la plus libre pour sortir du repas, & la plus accessible à ceux qui surviendroient pour lui parler d’affaires ; car les Romains, quoiqu’à table, ne se départoient jamais de remplir les fonctions de leurs charges.

Horace, dans une de ses satyres, l. II. sat. 8, nous instruit qu’on mettoit la table sous un dais quand on traitoit un grand seigneur, comme Mécene ; & Macrobe décrivant un repas des pontifes, dit, pour en exprimer la magnificence, qu’il n’y avoit que dix conviés, & que cependant on mangoit dans deux salles. C’étoit par le même principe de magnificence, qu’il y avoit une salle à cent lits, dans la célebre fête d’Antiochus Epiphanès, décrite par Elien.

La somptuosité particuliere des lits de table consistoit 1°. dans l’ébene, le cedre, l’ivoire, l’or, l’argent, & autres matieres précieuses dont ils étoient faits ou enrichis ; 2°. dans les superbes couvertures de