Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 9.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chose de celles sous les noms de saint Marc, de saint Barnabé, de saint Clément, de saint Denis l’aréopagite, &c.

L’Eglise latine a sa liturgie, qui a eu son commencement, ses progrès, ses augmentations, & qui n’est point parvenue à sa perfection, sans subir bien des changemens, suivant la nécessité des tems & la prudence des pontifes.

L’Eglise grecque a quatre liturgies, celle de saint Jacques, de saint Marc, de saint Jean-Chrysostôme & de saint Basile, mais les deux dernieres sont celles dont elle fait le plus généralement usage ; celle de saint Jacques ne se lisant qu’à Jérusalem & à Antioche, & celle de saint Marc dans le district d’Alexandrie.

Il est étonnant que Leo Allatius, le cardinal Bellarmin, & après lui le cardinal Bona, ayent pû assurer que les liturgies de saint Marc & de saint Jacques soient réellement de ces apôtres, que celle de saint Jacques est l’origine de toutes les liturgies, & qu’elle a été changée & augmentée dans la suite, comme il arrive à tous les livres ecclésiastiques.

Penser de la sorte, c’est se refuser aux regles d’une saine critique, & ne faire nulle attention à d’anciennes autorités, qui ne doivent laisser aucun doute sur la question : ainsi Théod. Balsamon, ce patriarche grec d’Antioche, que l’empereur Isaac Lange sut si bien leurrer en se servant de lui pour procurer à Dosithée le patriarchat de Constantinople, dont il l’avoit flatté en secret ; ce Balsamon, dis-je, requis par lettres de dire son sentiment, si les liturgies qu’on avoit sous les noms de saint Marc & de saint Jacques, étoient véritablement d’eux, répondit : « Que ni l’Ecriture-sainte, ni aucun concile n’avoit attribué à saint Marc la liturgie qui portoit son nom ; qu’il n’y avoit que le 32. canon du concile de Trullo qui attribuât à saint Jacques la liturgie qui étoit sous son nom, mais que le 85 canon des apôtres, le 59 canon du concile de Laodicée dans le dénombrement qu’ils ont fait des livres de l’Ecriture-sainte composés par les apôtres, & dont on devoit se servir dans l’Eglise, ne faisoient aucune mention des liturgies de saint Jacques & de saint Marc ».

Les Arméniens, les Coptes, les Ethiopiens ont aussi leurs diverses liturgies, écrites dans leurs langues, ou traduites de l’arabe.

Les chrétiens de Syrie comptent plus de quarante liturgies syriaques, sous divers noms d’apôtres, d’évangélistes, ou de premiers peres de l’Eglise ; les Maronites ont fait imprimer à Rome, en 1592, un Missel qui contient douze liturgies différentes.

Les Nestoriens ont aussi leur liturgie en langue syriaque, de laquelle se servent aujourd’hui les chrétiens des Indes, qu’on appelle de saint Thomas ; il est étonnant que ceux qui ont attribué ce christianisme indien, ou plutôt ce nestorianisme à saint Thomas l’apôtre, ne lui ayent pas attribué aussi la liturgie. Mais la vérité est que saint Thomas n’établit ni la liturgie, ni la religion sur la côte de Coromandel ; on sait aujourd’hui que ce fut un marchand de Syrie, nommé Marc-Thomas, qui s’étoit habitué dans cette province au vj. siecle, y porta sa religion nestorienne ; & lorsque dans les derniers tems nous allames trafiquer avec ces anciens chrétiens, nous trouvames qu’ils n’y connoissoient ni la transubstantiation, ni le culte des images, ni le purgatoire, ni les sept sacremens.

On voit dans le cabinet d’un curieux en Hollande un manuscrit sur une espece de peau de poisson, qui est un ancien Missel d’Islande, dans un jargon dont il n’y a que les terminaisons qui soient latines, on y lit les noms de saint Olaüs & Hermogaré, c’est

une liturgie très-informe, l’office des exorcistes en contient près de trois quarts, tant la philosophie avoit de part à ces sortes d’ouvrages.

Les Protestans ont aussi leurs liturgies en langue vulgaire ; ils les prétendent fort épurées & plus conformes que toutes les autres à la simplicité évangélique, mais il ne faut que les lire pour y trouver l’esprit de parti parmi beaucoup de bonnes choses & des pratiques très-édifiantes ; d’ailleurs les dogmes favoris de leurs réformateurs, la prédestination, l’élection, la grace, l’éternité des peines, la satisfaction, &c. répandent plus ou moins dans leurs liturgies une certaine obscurité, quelque chose de dur dans les expressions, de forcé dans les allusions aux passages de l’Ecriture-sainte ; ce qui, sans éclairer la foi, diminue toujours jusques à un certain point cette onction religieuse, qui nourrit & soutient la piété.

Enfin quelques-unes de leurs liturgies particulieres pechent par les fondemens qu’elles prennent pour les cérémonies les plus respectables ; comme, par exemple, quelques liturgies fondent le baptême sur la bénédiction des enfans par le Seigneur Jesus ; action du Sauveur qui n’a nul rapport avec l’institution de ce sacrement.

Chaque église, ou plutôt chaque état protestant, a sa liturgie particuliere. Dans plusieurs pays les magistrats civils ont mis la main à l’encensoir, & ont fait & rédigé par écrit les liturgies ; se contentant de consulter pour la forme les ecclésiastiques ; peut-être n’est-ce pas un si grand mal.

La meilleure liturgie protestante est l’anglicane, autrement celle de la haute église d’Angleterre, la dévotion du peuple y est excitée par les petites litanies, & les divers passages de l’Ecriture-sainte qu’il répete fréquemment.

Il est dans le christianisme une secte considérable, dont on peut dire que le principe fondamental est de ne point avoir de liturgie, & d’attendre dans leurs assemblées religieuses ce que l’esprit leur ordonne de dire, & l’esprit est rarement muet pour ceux qui ont la fureur de parler.

Les liturgies ont une intime relation avec les livres symboliques, entant qu’ils font regles de foi & de culte ; mais ils trouveront leur place à l’article Symbole.

Est-ce à la foudroyante musique des chantres de Josué autour de Jérico, à la douce harmonie de la harpe de David, à la bruyante ou fastueuse musique des chantres du temple de Salomon, ou au pieux chant du cantique que Jesus-Christ & ses apôtres entonnerent après la premiere institution de la pâque chrétienne, que nous sommes redevables de nos chœurs, des hymnes, pseaumes & cantiques spirituels, qui, dans toutes les communions chrétiennes, font & ont toujours fait une partie considérable du culte public réglé par nos liturgies ; c’est sans doute ce qui mériteroit de devenir l’objet des recherches de nos commentateurs, autant & plus que ce tas de futilités dont leurs savans & inutiles ouvrages sont remplis.

Au reste, la musique, ou plutôt le chant a été chez tous les peuples le langage de la dévotion.

Pacis opus docuit, jussit que silentibus omnes
Inter sacra tubas, non inter bella sonare.

Calph. eclog.

C’est encore aujourd’hui en chantant que les Sauvages de l’Amérique honorent leurs divinités. Toutes les fêtes, les mysteres des dieux de l’antiquité païenne se célébroient au milieu des acclamations publiques, du pieux frédonnement des prêtres & des bruyantes chansons des dévots. Chansons dont le sujet & les paroles faisoient avec les rites & les diverses céré-