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inutile de marquer en quoi il a été le plus distingué parmi les Philosophes. Il n’a été d’abord qu’un pur cartésien ; mais il a donné un jour si brillant à la doctrine de Descartes, que le disciple l’a plus répandue par la vivacité de son imagination & par le charme de ses expressions, que le maître n’avoit fait par la suite de ses raisonnemens & par l’invention de ses divers systèmes.

Le grand talent du pere Malebranche est de tirer d’une opinion tout ce qu’on peut en imaginer d’imposant pour les conséquences, & d’en montrer tellement les principes de profil, que du côté qu’il les laisse voir, il est impossible de ne s’y pas rendre.

Ceux qui ne suivent pas aveuglément ce philosophe, prétendent qu’il ne faut que l’arrêter au premier pas ; que c’est la meilleure & la plus courte maniere de le réfuter, & de voir clairement ce qu’on doit penser de ses principes. Ils les réduisent particulierement à cinq ou six, à quoi il faut faire attention ; car si on les lui passe une fois, on sera obligé de faire avec lui plus de chemin qu’on n’auroit voulu. Il montre dans tout leur jour, les difficultés de l’opinion qu’il réfute ; & à l’aide du mépris qu’il en inspire, il propose la sienne par l’endroit le plus plausible ; puis, sans d’autre façon, il la suppose comme incontestable, sans avoir ou sans faire semblant de voir ce qu’on y peut & ce qu’on y doit opposer.

Outre ces ouvrages, nous avons bon nombre de logiques en forme. Les plus considérables sont celle de M. Leclerc. Cette logique a une grande prérogative sur plusieurs autres ; c’est que renfermant autant de choses utiles, elle est beaucoup plus courte. L’auteur y fait appercevoir l’inutilité d’un grand nombre de regles ordinaires de logique ; il ne laisse pas de les rapporter & de les expliquer assez nettement. Ayant formé son plan d’après le livre de M. Locke, de intellectu humano, à qui il avoue, en lui dédiant son ouvrage, qu’il n’a fait qu’un abregé du sien ; il a parlé de la nature & de la formation des idées d’une maniere plus juste & plus plausible que l’on n’avoit fait dans les logiques précédentes. Il a choisi ce qui se rencontre de meilleur dans la logique dite l’art de penser. Il tire des exemples de sujets intéressans. Empruntant des ouvrages que je viens de nommer, ce qui est de meilleur dans le sien, il ne dit rien qui serve à découvrir les méprises qui y sont échappées. Il seroit à souhaiter qu’il n’eût pas suivi M. Locke dans ses obscurités, & dans des réflexions aussi écartées du sentiment commun, que des principes de la morale.

Le dessein que se propose M. Crouzas dans son livre, est considérable. Il y prétend rassembler les principes, les maximes, les observations qui peuvent contribuer à donner à l’esprit plus d’étendue, de force, de facilité, pour comprendre la vérité, la découvrir, la communiquer, &c. Ce dessein un peu vaste pour une simple logique, traite ainsi des sujets les plus importans de la Métaphysique. L’auteur a voulu recueillir sur les diverses opérations de l’esprit, les opinions des divers philosophes de ce tems. Il n’y a guere que le livre de M. Locke, auquel M. Crouzas n’ait pas fait une attention qui en auroit valu la peine. Il y a un grand nombre d’endroits qui donnent entrée à des réflexions subtiles & judicieuses. Plusieurs réflexions n’y sont pas assez développées, les sujets ne paroissent ni si amenés par ce qui précede, ni assez soutenus par ce qui suit. L’élocution quelquefois négligée diminue de l’extrème clarté que demandent des matieres abstraites. Cet ouvrage a pris diverses formes & divers accroissemens sous la main de l’auteur. Tous les éloges de M. de Fontenelle, qui y sont fondus, ne contribuent pas peu à l’embellir & à y jetter de la variété. L’é-

dition de 1712, deux vol. in-12. est la meilleure

pour les étudians, parce que c’est la plus dégagée, & que les autres sont comme noyées dans les ornemens.

Tels sont les jugemens que le pere Bussier a portés de toutes ces différentes logiques. Ses principes du raisonnement sont une excellente logique. Il a surtout parfaitement bien démêlé la vérité logique d’avec celle qui est propre aux autres sciences. Il y a du neuf & de l’original dans tous les écrits de ce pere, qui a embrassé une espece d’encyclopédie, que comprend l’ouvrage in-folio intitulé cours des sciences. L’agrément du style rend amusant ce livre, quoiqu’il contienne véritablement l’exercice des sciences les plus épineuses. Il a trouvé le moyen de changer leurs épines en fleurs, & ce qu’elles ont de fatiguant en ce qui peut divertir l’imagination. On ne peut rien ajoûter à la précision & à l’enchaînement des raisonnemens & des objections, dont il remplit chacun des sujets qu’il traite. La maniere facile & peut-être égayée dont il expose les choses, répand beaucoup de clarté sur les matieres les plus abstraites.

M. Wolff a ramené les principes & les regles de la logique à la démonstration. Nous n’avons rien de plus exact sur cette science que la grande logique latine de ce philosophe, dont voici le titre : philosophia rationalis, sive logica methodo scientificâ pertractata, & ad usum scientiarum atque vitæ aptata. Præmittitur discursus præliminaris de philosophia in genere.

Il a paru depuis peu un livre intitulé, essai sur l’origine des connoissances humaines. M. l’abbé de Condillac en est l’auteur. C’est le système de M. Locke, mais extrèmement perfectionné. On ne peut lui reprocher, comme à M. Leclerc, d’être un copiste servile de l’auteur anglois. La précision françoise a retranché toutes les longueurs, les répétitions & le desordre qui regnent dans l’ouvrage anglois, & la clarté, compagne ordinaire de la précision, a répandu une lumiere vive & éclatante sur les tours obscurs & embarrassés de l’original. L’auteur se propose, à l’imitation de M. Locke, l’étude de l’esprit humain, non pour en découvrir la nature, mais pour en connoître les opérations. Il observe avec quel art elles se combinent, & comment nous devons les conduire, afin d’acquérir toute l’intelligence dont nous sommes capables. Remontant à l’origine des idées, il en développe la génération, les suit jusqu’aux limites que la nature leur a prescrites, & fixe par-là l’étendue & les bornes de nos connoissances. La liaison des idées, soit avec les signes, soit entre elles, est la base & le fondement de son système. A la faveur de ce principe si simple en lui-même & si fécond en même tems dans ses conséquences, il montre quelle est la source de nos connoissances, quels en sont les matériaux, comment ils sont mis en œuvre, quels instrumens on y emploie, & quelle est la maniere dont il faut s’en servir. Ce principe n’est ni une proposition vague, ni une maxime abstraite, ni une supposition gratuite ; mais une expérience constante, dont toutes les conséquences sont confirmées par de nouvelles expériences. Pour exécuter son dessein, il prend les choses d’aussi haut qu’il lui est possible. D’un côté, il remonte à la perception, parce que c’est la premiere opération qu’on peut remarquer dans l’ame ; & il fait voir comment & dans quel ordre, elle produit toutes celles dont nous pouvons acquérir l’exercice. D’un autre côté, il commence au langage d’action. Il explique comment il a produit tous les arts qui sont propres à exprimer nos pensées ; l’art des gestes, la danse, la parole, la déclamation, l’art de la noter, celui des pantomimes, la musique, la poésie, l’éloquence, l’écriture, & les différens caracteres des langues.