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Nous avons encore en Espagne, en Portugal, en Aquitaine & même en France, des maisons couvertes de chaume ou de bardeau[1].

Au royaume de Pont dans la Colchide, on étend de part & d’autre sur le terrein des arbres ; sur chacune de leurs extrémités on y en place d’autres, de maniere qu’ils enferment un espace quarré de toute leur longueur. Sur ces arbres placés horisontalement, on y en éleve d’autres perpendiculairement pour former des murailles que l’on garnit d’échalas & de terre grasse : on lie ensuite les extrémités de ces murailles par des pieces de bois qui vont d’angle en angle, & qui se croisent au milieu pour en retenir les quatre extrémités ; & pour former la couverture de ces especes de cabanes, on attache aux quatre coins, par une extrémité, quatre pieces de bois qui vont se joindre ensemble par l’autre vers le milieu, & qui sont assez longues pour former un toît en croupe, imitant une pyramide à quatre faces, que l’on enduit aussi de terre grasse.

Il y a chez ces peuples de deux especes de toîts en croupe ; celui-ci, que Vitruve appelle testudinatum, parce que l’eau s’écoule des quatre côtés à-la-fois ; l’autre, qu’il appelle displuviatum, est lorsque le faîtage allant d’un pignon[2] à l’autre, l’eau s’écoule des deux côtés.

Les Phrygiens, qui occupent des campagnes où il n’y a point de bois, creusent des fossés circulaires ou petits tertres naturellement élevés qu’ils font les plus grands qu’ils peuvent, auprès desquels ils font un chemin pour y arriver. Autour de ces creux ils élevent des perches qu’ils lient par en haut en forme de pointe ou de cône, qu’ils couvrent de chaume, & sur cela ils amassent de la terre & du gason pour rendre leurs demeures chaudes en hiver & fraîches en été.

En d’autres lieux on couvre les cabanes avec des herbes prises dans les étangs.

A Marseille les maisons sont couvertes de terre grasse paîtrie avec de la paille. On fait voir encore maintenant à Athènes, comme une chose curieuse par son antiquité, les toîts de l’aréopage faits de terre grasse, & dans le temple du capitole, la cabane de Romulus couverte de chaume.

Au Pérou, les maisons sont encore aujourd’hui de roseaux & de cannes entrelacées, semblables aux premieres habitations des Egyptiens & des peuples de la Palestine. Celles des Grecs dans leur origine n’étoient non plus construites que d’argille qu’ils n’avoient pas l’art de durcir par le secours du feu. En Irlande, les maisons ne sont construites qu’avec des menues pierres ou du roc mis dans de la terre détrempée, & de la mousse. Les Abyssins logent dans des cabanes faites de torchis[3].

Au Monomotapa les maisons sont toutes construites de bois. On voit encore maintenant des peuples se construire, faute de matériaux & d’une certaine intelligence, des cabanes avec des peaux & des os de quadrupedes & de monstres marins.

Cependant on peut conjecturer que l’ambition de perfectionner ces cabanes & d’autres bâtimens élevés par la suite, leur fit trouver les moyens d’allier avec quelques autres fossiles l’argille & la terre grasse, que

leur offroient d’abord les surfaces des terreins où ils établissoient leurs demeures, qui peu-à-peu leur donnerent l’idée de chercher plus avant dans le sein de la terre non-seulement la pierre, mais encore les différentes substances qui dans la suite les pussent mettre à portée de préférer la solidité de la maçonnerie à l’emploi des végétaux, dont ils ne tarderent pas à connoître le peu de durée. Mais malgré cette conjecture, on considere les Egyptiens comme les premiers peuples qui aient fait usage de la maçonnerie ; ce qui nous paroît d’autant plus vraissemblable, que quelques-uns de leurs édifices sont encore sur pié : témoins ces pyramides célebres, les murs de Babylone construits de brique & de bitume ; le temple de Salomon, le phar de Ptolomée, les palais de Cléopatre & de César, & tant d’autres monumens dont il est fait mention dans l’Histoire.

Aux édifices des Egyptiens, des Assyriens & des Hébreux, succéderent dans ce genre les ouvrages des Grecs, qui ne se contenterent pas seulement de la pierre qu’ils avoient chez eux en abondance, mais qui firent usage des marbres des provinces d’Egypte, qu’ils employerent avec profusion dans la construction de leurs bâtimens ; bâtimens qui par la solidité immuable seroient encore sur pié, sans l’irruption des barbares & les siecles d’ignorance qui sont survenus. Ces peuples, par leurs découvertes, exciterent les autres nations à les imiter. Ils firent naître aux Romains, possédés de l’ambition de devenir les maîtres du monde, l’envie de les surpasser par l’incroyable solidité qu’ils donnerent à leurs édifices ; en joignant aux découvertes des Egyptiens & des Grecs l’art de la main-d’œuvre, & l’excellente qualité des matieres que leurs climats leur procuroient : en sorte que l’on voit aujourd’hui avec étonnement plusieurs vestiges intéressans de l’ancienne Rome.

A ces superbes monumens succéderent les ouvrages des Goths ; monumens dont la legereté surprenante nous retrace moins les belles proportions de l’Architecture, qu’une élégance & une pratique inconnue jusqu’alors, & qui nous assurent par leurs aspects que leurs constructeurs s’étoient moins attachés à la solidité qu’au goût de l’Architecture & à la convenance de leurs édifices.

Sous le regne de François I. l’on chercha la solidité de ces édifices dans ceux qu’il fit construire ; & ce fut alors que l’Architecture sortit du cahos où elle avoit été plongée depuis plusieurs siecles. Mais ce fut principalement sous celui de Louis XIV. que l’on joignit l’art de bâtir au bon goût de l’Architecture, & où l’on rassembla la qualité des matieres, la beauté des formes, la convenance des bâtimens, les découvertes sur l’art du trait, la beauté de l’appareil, & tous les arts libéraux & méchaniques.

De la maçonnerie en particulier. Il y a de deux sortes de maçonnerie, l’ancienne, employée autrefois par les Egyptiens, les Grecs & les Romains, & la moderne, employée de nos jours.

Vitruve nous apprend que la maçonnerie ancienne se divisoit en deux classes ; l’une qu’on appelloit ancienne qui se faisoit en liaison, & dont les joints étoient horisontaux & verticaux ; la seconde, qu’on appelloit maillée, étoit celle dont les joints étoient inclinés selon l’angle de 45 degrés, mais cette derniere étoit très-défectueuse, comme nous le verrons ci-après.

Il y avoit anciennement trois genres de maçonnerie ; le premier de pierres taillées & polies, le second de pierres brutes, & le troisieme de ces deux especes de pierres.

La maçonnerie de pierres taillées & polies étoit de deux especes ; savoir la maillée, fig. premiere, appellée par Vitruve reticulatum, dont les joints des pierres étoient inclinés selon l’angle de 45 degrés, & dont

  1. C’est un petit ais de mairain en forme de tuile ou de latte, de dix ou douze pouces de long, sur six à sept de large, dont on se sert encore à-présent pour couvrir des hangards, appentis, moulins, &c.
  2. Pignon est, à la face d’un mur élevé d’à-plomb, le triangle formé par la base & les deux côtés obliques d’un toît dont les eaux s’écoulent de part & d’autre.
  3. Torchis, espece de mortier fait de terre grasse détrempée, mêlée de foin & de paille coupée & bien corroyée, dont on se sert à-présent faute de meilleure liaison : il est ainsi appellé à cause des bâtons en forme de torche, au bout desquels on le tortille pour l’employer.