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de modele aux particuliers, & de regle aux maitres pour enseigner la jeunesse. Il est aisé de sentir que le but de cet arrêt étoit de simplifier l’écriture & empêcher toute innovation dans la forme des caracteres & dans leurs principes.

Les deux secrétaires de la chambre du roi, dont les fonctions consistoient à écrire & à lire les ouvrages d’écritures adressés aux rois, devenant inutiles par le réglement dicté par cet arrêt du parlement ; on jugea à-propos de les supprimer. Mais, quoique les maitres écrivains n’eussent plus l’honneur d’être de la suite du roi, ils ne perdirent pas pour cela le droit d’avoir toujours dans leur compagnie deux secrétaires de sa majesté. Parmi ceux qui ont joui de ce titre, on remarque Gabriel Alexandre en 1658, Nicolas Duval en 1677, Nicolas Lesgret en 1694, & Robert Jacquesson en 1727.

Après avoir parlé d’un titre honorable qui fit autrefois distinguer les maitres écrivains, je laisserois quelque chose à desirer, si je négligeois d’instruire des priviléges qui leur ont été accordés par les rois successeurs de Charles IX. Cette espece d’instruction est importante ; elle fera connoître que les souverains n’ont pas oublié un corps, qui depuis son institution a perfectionné l’écriture, abregé le développement des principes, simplifié les opérations de l’arithmétique, découvert les trompeuses manœuvres des faussaires, & cherché continuellement à être utile à leurs concitoyens, dont l’ingratitude va aujourd’hui jusqu’à le méconnoître.

Henri IV. dont la bonté pour ses peuples ne s’effacera jamais, leur a donné des lettres patentes qui sont datées de Folembrai le 22 Décembre 1595, par lesquels ils sont dispensés de toutes commissions abjectes & de toutes charges viles, à l’exemple de tous les régens & maîtres-ès-arts de l’université de Paris. C’est sur ce sujet que le 13 Octobre 1657, le châtelet a rendu un jugement où cette jurisdiction s’exprime en termes bien honorables pour l’état de maitre écrivain. Il y est dit, que l’excellence de l’art d’écrire mérite cette exemption ; & plus bas, que les charges viles & abjectes de police sont incompatibles avec la pureté & la noblesse de leur art, reconnu sans contredit pour le pere & le principe des sciences.

Louis XIII. ne perdit point de vûe les maitres écrivains. Dans des lettres patentes qu’il donna en leur faveur le 30 Mars 1616, il déclare qu’il n’a point entendu comprendre en l’édit de création de deux maîtres en chacun métier, ladite maitrise d’écrivain juré, qu’elle auroit exceptée & reservée, déclarant nulles toutes lettres & provisions qui en pourroient avoir été ou être expédiées.

Louis XIV. par un arrêt de son conseil privé du 10 Novembre 1672, ordonne que la communauté des maîtres écrivains seroit exceptée de la création de deux lettres de maitrise de tous arts & métiers, créées par son édit du mois de Juin 1660 en faveur de M. le duc de Choiseul. C’est par ce dernier titre que les maitres écrivains ont fait évanouir depuis peu toutes les espérances d’un particulier qui étoit revétu d’un privilége de monseigneur le duc de Bourgogne, pour enseigner l’art d’écrire & tenir classe ouverte.

Louis XV. aujourd’hui régnant n’a pas été moins favorable aux maitres écrivains, que ses prédécesseurs, dans une occasion d’où dépendoit toute leur fortune. Les maitres des petites écoles avoient obtenu un arrêt du conseil du 9 Mai 1719, qui leur donnoit le droit d’enseigner l’écriture, l’ortographe, l’arithmétique & tout ce qui en est émané, comme les comptes à parties doubles & simples & les changes étrangers. Un arrêt de cette conséquence, à qui l’autorité suprème donnoit un poids qu’il n’étoit pas possible de renverser, étoit un coup de foudre pour les maitres écrivains ; en effet, il les dépouilloit du plus solide

de leurs avantages. J’ignore les moyens dont se servirent les maitres des petites écoles pour surprendre la cour & parvenir à le posséder ; mais il est certain que le roi ayant été fidelement instruit de l’injustice de cet arrêt, l’annulla & le cassa par un autre du 4 Avril 1724.

Je ne m’étendrai pas davantage sur les titres & priviléges des maitres écrivains ; mais avant d’entrer dans un détail sommaire de leurs statuts, qu’il me soit permis de parler des grands maitres qui ont illustre cette compagnie.

Les Grecs & les Romains élevoient des statues aux grands hommes, qui s’étoient distingués dans les arts & dans les sciences. Cet usage n’a point lieu parmi nous, mais on consacre leurs noms dans l’histoire ; jusqu’à présent aucun ouvrage n’a parlé de ceux qui se sont fait admirer par la beauté de leur écriture, & par leur talent à former de belles mains pour le service de l’état, comme si les grands maitres dans ce genre ne pouvoient pas parvenir au même degré de célébrité que ces fameux artistes dont les noms sont immortels. Un auteur dans le journal de Verdun en a dit la raison ; c’est que le fracas est nécessaire pour remuer l’imagination du plus grand nombre des hommes, & qu’un bien réel qui s’opere sans bruit ne touche que les gens sensés.

Je pourrois passer sous silence le tems qui s’est écoulé depuis l’établissement des maîtres écrivains vérificateurs, jusqu’à l’arrêt du parlement de 1633, dont j’ai parlé plus haut. Mais dans cet intervalle il a paru des écrivains respectables que les amateurs seront bien aises de reconnoître. Les laisser dans l’oubli, ce seroit une injustice & même une ingratitude : les voici.

Jean de Beauchêne se fit de la réputation par une methode sur l’art d’écrire qui parut en 1580.

Jean de Beaugrand, reçu professeur en 1594, étoit un habile homme, écrivain du roi & de ses bibliotheques, & secrétaire ordinaire de sa chambre. Il fut choisi pour enseigner à écrire au roi Louis XIII. lorsqu’il étoit dauphin, & pour lequel il a fait un livre gravé par Firens, où l’on trouve des cadeaux, sur-tout aux deux premieres pieces, ingénieusement composés & d’un seul trait.

Guillaume le Gangneur, natif d’Angers, & secrétaire ordinaire de la chambre du roi, fut un artiste célebre dans son tems. Ses œuvres sur l’écriture parurent en 1599, ils sont gravés savamment par Frisius, qui étoit pour-lors le plus expert graveur en lettres, & contiennent les écritures françoise, italienne & greque. Chaque morceau traite des dimensions qui conviennent à chaque lettre & à chaque écriture, avec démonstrations. M. l’abbé Joly, grand chantre de l’église de Paris, en fait l’éloge dans son Traité des écoles épiscopales pag. 466, il dit que les caracteres grecs de cet écrivain surpassent ceux du nouveau Testament grec imprimé par Robert Etienne l’an 1550. Cet artiste qui avoit une réputation étonnante, & que tous les Poëtes de son siecle ont chanté, mourut vers l’an 1624.

Nicolas Quittrée, reçu professeur en 1598, étoit éleve de Gangneur, & fut comme lui un très-habile homme. Il n’a point fait graver, & j’ai entre mes mains quelques morceaux de ses ouvrages, qui prouvent son génie & son adresse dans l’art.

De Beaulieu, gentilhomme de Montpellier, a été fort connu, & a fait un livre sur l’écriture en 1624, gravé par Matthieu Greuter, allemand.

Desperrois, en 1628, donna au public un ouvrage sur l’art d’écrire, qui fut goûté.

Ces maîtres ont vécu dans les premiers tems de l’établissement de la communauté des maîtres Ecrivains jurés. Je vais parcourir un champ plus vaste, c’est-à-dire depuis la correction arrivée aux caracte-