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ARISTIPPE.

sent que le plaisir et la douleur ne peuvent venir des seuls objets qui frappent les organes de l’ouïe et de la vue, puisque nous écoutons volontiers les plaintes de ceux qui contrefont les malheureux, et que nous entendons avec répugnance ceux qui se plaignent de leurs propres maux. Ils donnaient le nom de situation mitoyenne à cette privation de contentement et de douleur. Ils mettaient les plaisirs du corps fort au-dessus de ceux de l’ame, et regardaient les maux corporels comme pis que ceux de l’esprit, disant que c’est par cette raison que les criminels sont punis par les maux du corps. Ils appelaient la douleur un état rude, et la joie une chose plus naturelle; et de là vient qu’ils apportaient plus de soin à gouverner la joie que la douleur, parceque, quoique le plaisir soit à rechercher par lui-même, il se trouve souvent que les causes qui le produisent sont désagréables; et c’est ce qui leur faisait dire que l’assemblage de tous les plaisirs particuliers qui constituent le bonheur est difficile à faire.

Une de leurs opinions est que le sage n’est pas toujours heureux, ni l’insensé toujours dans la douleur; mais que cela a lieu la plupart du temps, et qu’il suffit aussi, pour être heureux, qu’on éprouve du plaisir à quelque égard. Ils disent que la sagesse est un bien qu’il ne faut pas desirer relativement à elle-même, mais en considération des avantages qui en reviennent; qu’on ne doit chérir un ami que par nécessité, à peu près comme on aime ses membres, aussi longtemps qu’ils sont unis au corps; qu’il y a des vertus qui sont communes aux sages et aux extravagants; que l’exercice du corps est utile à la vertu; que l’envie n’a aucune prise sur le sage, qu’il est à l’épreuve de l’impétuosité des passions, et que la superstition ne peut avoir d’empire sur son esprits, parceque tous ces maux dérivent d’un vain préjugé; qu’il peut cependant ressentir de la crainte et de la douleur, comme étant des sentiments de la nature; que quoique les richesses engendrent la volupté, on ne doit pas les souhaiter par