Page:Discours sur les révolutions de la surface du globe, et sur les changemens qu'elles ont produits dans le règne animal.djvu/87

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on l’a enfermée de digues, a tellement élevé son fond, que la surface de ses eaux est maintenant plus haute que les toits des maisons de

    il s’en creusa de nouveaux ; et au commencement du dix-septième siècle sa bouche principale, appelée Sbocco di Tramontana, se trouvant très-rapprochée de l’embouchure de l’Adige, ce voisinage alarma les Vénitiens, qui creusèrent, en 1604, le nouveau lit appelé Taglio di Porto Viro ou Po delle Fornaci, au moyen duquel la Bocca Maestra se trouva écartée de l’Adige du côté du midi.
    Pendant les quatre siècles écoulés depuis la fin du douzième jusqu’à la fin du seizième, les alluvions du Pô ont gagné sur la mer une étendue considérable. La bouche du nord, celle qui s’était emparée du canal de Mazorno, et formait le Ramo di Tramontana, était, en 1600, éloignée de vingt mille mètres du méridien d’Adria ; et la bouche du sud, celle qui avait envahi le canal Toi, était à la même époque à dix-sept mille mètres de ce méridien ; ainsi le rivage se trouvait reculé de neuf ou dix mille mètres au nord, et de six ou sept mille mètres au midi. Entre les deux bouches, dont je viens de parler, se trouvait une anse ou partie du rivage moins avancée, qu’on appelait Sacca di Goro.
    Les grands travaux de diguement du fleuve, et une partie considérable des défrichemens des revers méridionaux des Alpes, ont eu lieu dans cet intervalle du treizième au dix-septième siècle.
    Le Taglio di Porto Viro détermina la marche des alluvions dans l’axe du vaste promontoire que forment actuellement les bouches du Pô. À mesure que les issues à la mer s’éloignaient, la quantité annuelle de dépôt s’accroissait dans une proportion effrayante, tant par la diminution de la pente des eaux (suite nécessaire de l’allongement du lit), que par l’emprisonnement de ces eaux entre des digues, et par la facilité que les défrichemens donnaient aux torrens affluens pour entraîner dans la plaine le sol des montagnes. Bientôt l’anse de Sacca di Goro fut comblée, et les deux promontoires formés par les deux premières bouches se réunirent en un seul ; dont la pointe actuelle se trouve à trente-deux ou trente-trois mille mètres du méridien d’Adria ; en sorte que, pendant deux siècles, les bouches du Pô ont gagné environ quatorze mille mètres sur la mer.
    Il résulte des faits dont je viens de donner un exposé rapide, I°. qu’à des époques antiques, dont la date précise ne peut pas être assignée, la mer Adriatique baignait les murs d’Adria.
    2°. Qu’au douzième siècle, avant qu’on eût ouvert à Ficarolo une route aux eaux du Pô sur leur rive gauche, le rivage de la mer s’était éloigné d’Adria de neuf à dix mille mètres.
    3°. Que les pointes des promontoires formés par les deux principales bouches du Pô se trouvaient, en l’an 1600, avant le Taglio di Porto Viro, à une distance moyenne de dix-huit mille cinq cents mètres d’Adria, ce qui, depuis l’an 1200, donne une marche d’alluvions de vingt-cinq mètres par an.
    4°. Que la pointe du promontoire unique, formé par les bouches actuelles, est éloignée de trente-deux ou trente-trois mille mètres du méridien d’Adria ; d’où on conclut une marche moyenne des alluvions d’environ soixante-dix mètres par an pendant ces deux derniers siècles, marche qui, rapportée à des époques peu éloignées, se trouverait être beaucoup plus rapide.
    (*) On verra bientôt que la pointe du promontoire d’alluvions, formée par le Pô, est plus avancée dans la mer de dix mille mètres environ que l’embouchure de l’Adige.