Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/104

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et parvinrent au poste de commandement de la brigade, installé dans un abri bétonné.

Grandjean, qui s’attendait à recevoir des compliments du général en personne, se présenta fièrement au premier officier dont il remarqua le brassard brodé or. Main au casque, il fit militairement claquer les talons, comme un soldat de l’active :

— Deux prisonniers boches, mon capitaine. Ils n’ont pas été interrogés. Il y en a un qui a l’air très dessalé…

Mais cela parut ne produire aucun effet sur l’officier qui répondit :

— Plus tard… Conduisez-les avec les autres, à l’entrée du village, dans la ferme à droite.

Un peu décontenancé, Grandjean rejoignit son trio, et ils se rendirent à la ferme indiquée. Une quarantaine d’Allemands étaient parqués dans une grange, sous la garde d’un seul soldat. Accroupis en tailleurs, adossés au mur ou bien étendus sur la paille ils mangeaient de bon appétit et devisaient gaiement, ne semblant pas autrement affectés d’être éloignés du champ d’honneur.

Du même regard d’envie, les deux Français contemplèrent les boîtes de singe, les seaux de vin, les boules fraîches, et ils se sentirent la bouche humide.

— M… ! s’exclama Grandjean. Ils se la coulent douce, les gars…

Leurs prisonniers, déjà, avaient retrouvé des camarades et ils se serraient les mains, poussaient des cris de joie. Puis le blessé leur parla