Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/139

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vait là, de l’Intendance aussi, et une section d’autos-canons.

Le matin de notre arrivée, un de ces soldats tranquilles nous avait dit :

— Ce qu’on s’ennuie ici ; on en crève… Et rien à faire. Vous, au moins, on vous occupe…

On nous occupait, en effet, à faire l’exercice, et des marches de vingt-cinq kilomètres, avec le sac monté. Dès qu’on nous laissait libres, nous nous glissions dans le parc du château, un vieux parc solitaire, dont l’herbe folle broutait les allées.

J’ai passé là des heures de délassement délicieux. Certain après-midi, surtout…

Nous étions couchés à l’ombre d’un tilleul, au feuillage naissant, si léger qu’on eût dit une impalpable poussière verte. Tout près, on voyait le verger, ses cerisiers chargés d’essaims blancs. On goûtait du bonheur avec tout son être : avec les mains qui caressaient l’herbe fraîche, les yeux éblouis de lumière, les oreilles qui se berçaient de silence, et l’on respirait, par goulées avides, les giroflées posées comme des papillons, les violettes cachées, l’eau verte du bassin. C’était un de ces beaux jours où le cœur semble trop petit pour contenir tout le bonheur paisible qui vous pénètre. On ne parlait pas, on ne pensait pas : on écoutait, distraitement, l’aboiement lointain d’un chien dans une cour de ferme, un essieu grinçant sur la route, la chanson naïve d’un coucou…

— Tiens, dit Lousteau en l’entendant, le cocu qui prend sa veille…