Page:Dorgelès - Le Cabaret de la belle femme.djvu/92

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Dès le début de l’attaque, ce village, que l’ennemi occupait depuis août 1914, avait été enlevé ; nos régiments, surpris de voir les Allemands reculer en désordre, poursuivaient leur avance, et toutes les jeunes troupes s’étant bientôt trouvées engagées, on avait dû faire appel aux territoriaux pour occuper le village reconquis. Abasourdis, les pépères avaient pris position sous un bombardement infernal, et n’ayant pas reçu d’ordres ils s’étaient répandus au hasard dans les caves et les abris où traînait encore le bagage ennemi : sacs au rabat de poil roux, petits biscuits, calots gris, boites de singe, cartes postales, tout un butin qu’on se disputait à l’aveuglette.

Le colonel avait tout de suite installé son poste de commandement dans une des caves du château et ses agents de liaison s’étaient entassés dans la cave voisine où ils attendaient leur tour de marcher. Ils se tenaient accroupis le long du mur, anxieux, comptant les secondes. Ce qu’ils guettaient, c’était moins le halètement précipité des obus que la voix de leur chef. Elle leur parvenait, coupante, par la porte entrebâillée :

— La liaison !

Et celui dont c’était le tour devait se lever, le cœur serré… Il fallait aller se mettre en liaison avec le régiment engagé ou bien retourner à la brigade chercher des ordres, et c’était une course à la mort que ces missions sous le bombardement. Certains cherchaient à résister :