Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/108

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n’a pas bougé. Songeur, il reste devant sa botte. Parfois il dresse ses oreilles, renverse la tête comme s’il allait braire ; puis dédaignant ce tonnerre qu’il connaît, il s’incline sagement, tire une gueulée de foin et, la tête basse, il mange…



Je n’aime pas les gens de ce village. Les marchands ne nous estiment même pas pour l’argent qu’ils nous volent. Ils nous regardent avec une sorte de dégoût ou de crainte, et quand on entre dans leur boutique en s’écrasant, ses billets de cent sous à la main pour être plus tôt servis, ils crient plus fort que si les Prussiens venaient les piller.

Quand les Allemands occupaient le pays, nous ont dit les paysannes, ils étaient moins fiers. Ils n’avaient pas voulu se sauver, à cause des marchandises. Mais lorsque les derniers Français furent passés – des chasseurs à pied qui firent le coup de feu pendant toute une après-midi, embusqués dans le cimetière – la panique les prit. Ils cachaient tout : leurs liqueurs, leurs conserves, leurs gros sous, et les femmes geignaient pendant que les vieux creusaient des trous dans le jardin pour y enfouir le magot.

L’institutrice – une petite femme volontaire, aux joues pâles, que les gens n’aiment pas parce qu’elle se coiffe en bandeaux – avait fermé les fenêtres de l’école et mis son drapeau en berne. Mais le gros Thomas, l’épicier marchand de vins du Lion d’Or, avait aussitôt couru chez elle, suivi de quelques