Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/117

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comme on l’a vu, il n’aurait pas été nommé… Tu sais qu’il a foutu quatre jours à Broucke, sans même qu’on sache pourquoi.

— Aie pas peur, prédit Sulphart qui revient chargé comme une corvée, tout ça se paiera en gros et en détail.

— C’est du bien de mineur, ça rapporte, opine sentencieusement Lemoine.

— On se retrouvera après la guerre.

C’est toujours la même chanson : cela se réglera après la guerre. De fixer leurs revanches à cette date incertaine, cela les venge déjà plus qu’à moitié.

À la caserne, pendant leur temps d’active, quand l’adjudant les nommait de piquet d’incendie ou que le sergent leur faisait faire demi-tour à la grille, ils s’en allaient, rageant à blanc, et grommelant de mystérieuses menaces.

— Que la guerre arrive, on se marrera… On les retrouvera, les mecs…

La guerre a éclaté ; ils ont en effet retrouvé l’adjudant et le sergent, qu’ils ont vite emmenés à la cantine en les appelant « ma vieille ». Puis, ils en ont détesté d’autres – ou bien les mêmes. Et maintenant qu’on se bat, ce n’est plus à la guerre qu’ils remettent leurs desseins de vengeance, c’est à la paix…

— Qu’on redevienne civils, tu verras…

Et Demachy qui sait bien qu’il ne verra rien, sourit d’un air sceptique, en jouant avec le fond de son verre, où roule une goutte de lumière.

Venant de l’épicerie ou de la rue, d’autres s’attablent bruyamment.

— Hé ! vieux, un litron de rouge.