Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/125

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un obus sur la ferme. On dirait que quelque chose de miraculeux la préserve.

— Ce sont les arbres qui cachent, explique Monpoix.

La ferme, c’est notre maison. On ne la quitte jamais tout à fait, même étant aux tranchées on y laisse son bonheur en partant.

Les bergers provençaux, lorsqu’ils conduisent le troupeau dans la montagne, voient toujours de là-haut la ferme blanche, les étables, les pâtis verts, et croient vivre quand même dans le mas au bonnet de tuiles tuyautées. Nous, de la tranchée, nous vivons encore à la ferme : nous voyons descendre et monter la spirale blanche des pigeons, se dénouer la fumée légère, d’un bleu tout pareil à celui des peupliers et, au matin, quand rentrent les derniers guetteurs, on entend le coq qui nous crie bonjour.

— C’est des signaux, tout ça, répète obstinément Fouillard qui sait que cela nous ennuie.

Des signaux, ils croient en voir toutes les nuits, là et ailleurs. Parfois une patrouille part en courant, vers la lumière, et bat les champs. On tourne des heures, on s’égare, on rôde autour de fermes endormies, ou bien on va terrifier une femme qui montait coucher ses petits, une bougie à la main.

Quand on parle de cela à la ferme, Monpoix grogne :

— C’est tout espions, dans ce pays, gamin… Ah ! les brigands !

Le matin, très tôt, avant d’aller aux champs, il vient bavarder avec nous, dans la cuisine obscure où nous prenons le chocolat. Une grande flambée lèche la