Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/150

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où jaunissait un bouquet de muguets. Demachy le jeta pour y mettre ses églantines.

Les yeux fermés, il songeait à Nourry, le dernier jour. Blessé au ventre, il avait râlé dans le gourbi toute la nuit, les brancardiers n’arrivant pas, et, tournant parfois vers nous sa maigre tête au nez pincé, il murmurait :

— Hein, je vous empêche de dormir, mes pauvres gars.

Il était mort au petit jour. La fusillade nocturne s’était tue, les canons ne tiraient pas encore. Un pinson chantait dans le bois. Et, dans cette paix, on avait mieux compris cette mort.

Pour lui donner une vraie tombe, l’escouade avait voulu le ramener à l’arrière. Quatre hommes étaient partis pour la soupe au lieu de deux, portant alternativement le grand corps enroulé dans sa couverture brune, et Demachy les avait suivis, la croix de bois blanc sous le bras, tenant les bouteillons de l’autre main.

Depuis la mort de Nourry il était arrivé deux lettres à son nom. On aurait pu les retourner avec le brutal avis de décès, dans le coin : « Le destinataire n’a pu être atteint. » Demachy avait cru mieux faire de les prendre. Il les sortit de sa cartouchière, les déchira sans les ouvrir, et sur cette tombe réglementaire de soldat, carrée comme un lit de caserne, il effeuilla les pétales de lettres, pour qu’il pût au moins dormir sous des mots de chez lui.

Ce camarade lui était plus cher, maintenant qu’il n’était plus. Il regrettait de n’avoir pas mieux aimé ce grand garçon timide et doux, de n’avoir pas été