Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/154

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le noir du souterrain, demande-z-y si les corbeaux ça ne vit pas des cent ans.

— J’en ai déniché plus que t’en as jamais vu, répliquait tranquillement Lemoine, assis sur une moitié de tonneau coupé en baquet. Tu ne sais pas ce que tu causes : le corbeau, il n’y a pas plus bête.

— N’empêche que ça vit vieux, et que celui-là il a vu plus de guerres que toi, peut-être la Révolution, et 70…

Étendu dans un coin, sur un hamac en grillage, Vieublé protesta.

— Ah ! ne nous en fais pas un plat avec 70. Tu parles d’une guerre à la noix. Ils se battaient une journée tous les mois et ils croyaient avoir tout bouffé. Et les gars qui se baladaient dans Paname avant d’aller se mettre ça à Buzenval, tu crois pas que c’était un filon ? Ça me fait marre, moi, des guerres comme ça.

— J’te parle pas de 70, insistait Sulphart têtu, je parle du corbeau.

— Hou !… Hououu !… Ta gueule !

Tout le monde se mit à hurler, pour le faire taire. Quelqu’un lui lança un quart de boule.

— Ça va, dit-il, d’un ton vexé. Je vais toujours lui donner à becqueter.

Et ayant pris un morceau de singe, un bout de fromage et le quart de boule qu’on lui avait jeté, il monta le dîner de son corbeau, qui n’en demandait pas tant.

Demachy, brusquement, se sentait heureux. Sulphart lui avait gardé une bonne place, sur un sommier, et il allait pouvoir lire, rêvasser, paresseusement étendu, comme sur un divan.