Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/164

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À la clarté dansante de la bougie qui se mourait, je regardais les rondins trapus où pendaient nos équipements et nos bidons. Les musettes gonflées couvraient le mur, des baïonnettes pour patères. Sous la tête, nos sacs ; dans un coin, les fusils… Et l’on porte tout cela, des nuits, des jours, des lieues… On porte sa maison, on porte sa cuisine, et jusqu’à son linceul : la couverture brune où, bien enroulé, je vais dormir.



La nuit, lentement, semblait fondre. On eût dit que la dernière étoile se dépêchait de rentrer.

Dans le brouillard du petit jour, les choses revenaient de leur voyage au pays noir et, sagement, reprenaient leur place : l’arbre en fourche devant la tranchée, la meule brûlée contre le réseau Brun. Ce fut Broucke qui le premier vit les morts.

— Ben y eu o, dit-il. Cor un bois qui reviendro cher…

Gilbert cherchait à découvrir celui de l’autre nuit, que les camarades nous avaient demandé d’enterrer. L’aube le découvrit enfin. Il était resté à vingt mètres des fils de fer, déjà plat et fané, comme les autres. À quoi bon risquer de se faire tuer pour traîner ce cadavre plus près de la tranchée ? Une place ici ou un trou là… On avait ses papiers, cela suffisait. Sa tombe ? Quelque part, sur le front…

Avec le jour, l’artillerie s’éveilla. Une salve de shrapnells tonna d’abord, couronnant le Calvaire d’une auréole verte vite dénouée. Puis, ce fut le tour des gros.