Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/169

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comme s’ils avaient eu peur que la mort ne les rattrapât. Ils nous regardaient drôlement, en passant devant nous, et les derniers nous dirent : « Bonne chance. » Le cliquetis des chaînettes sur les gamelles s’éloigna, le tintement des bidons vides, les cailloux qui roulent, les voix… Nous restions seuls. Les mitrailleurs s’assirent à leur pièce. Trois de l’escouade descendirent dans la tranchée, et nous rentrâmes dans notre casemate.

— Il n’y a plus qu’à attendre, dit Demachy, qui exagérait son air indifférent.

Attendre quoi ? Tous assis sur le bord de nos litières, nous regardions la terre, comme un désespéré regarde couler l’eau sombre, avant le saut. Il nous semblait que la pioche cognait plus fort à présent, aussi fort que nos cœurs battants. Malgré soi, on s’agenouillait, pour l’écouter encore.

Fouillard s’était allongé dans un coin, la tête sous sa couverture pour ne plus rien entendre, ne plus rien voir. Bréval commença d’une voix hésitante :

— Après tout, ce n’est pas dit qu’on va sauter… Ça ne se fait pas comme ça, une mine.

— Surtout dans la pierre.

— On dirait que c’est tout près, et il y en a peut-être encore pour huit jours.

Ils parlaient tous ensemble, à présent ; ils mentaient tous, pour se donner du cœur, espérer quand même. Ce fut une discussion bruyante d’un moment, où chacun avait son histoire de mine à raconter, et, quand ils écoutèrent à nouveau, il leur parut que cela tapait déjà moins. Machinalement, on déroula les couvertures, on se coucha.