Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/172

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pipe. Parfois, quelqu’un soulevait le rideau du créneau et regardait. Rien… Un frisson, un murmure : les moutons du soir broutaient les champs.

Après les trois heures de veille, nous étions rentrés gelés. Et bien serrés sous nos couvertures, nos musettes côte à côte comme des oreillers, nous nous étions endormis, d’un bon sommeil de brutes.



Au matin, ce fut un présage, une détresse intérieure qui nous réveilla. Ce n’était plus le bruit : un silence tragique, au contraire. L’escouade était muette, atterrée, penchée sur Bréval qui écoutait, couché de tout son long. Redressés sur notre litière, nous les regardions.

— Qu’est-ce qu’il y a ? chuchota Demachy.

— Ils ne cognent plus !… Ils doivent bourrer la mine.

Mon cœur s’arrêta net, comme si quelqu’un l’avait pris dans sa main. Je ressentis comme un frisson. C’était vrai, on n’entendait plus creuser. C’était fini.

Bréval se releva, un sourire machinal aux lèvres :

— Il n’y a pas à se tromper. Ils ne cognent plus. Nous regardions la terre, muets comme elle. Fouillard, blême, fit le geste de sortir. Sans un mot, Hamel le retint par le bras. Maroux s’était assis, les mains croisées entre les genoux, et tambourinait la planche de sa litière, avec ses gros talons.

— Tais-toi ! lui dit durement Vieublé. Écoute…

Nous tendîmes tous le cou, anxieux, ayant peur de nous tromper. Non ! La pioche avait bien repris. Elle