Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/188

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autres, dont la foule déborde dans le cimetière, attendent le défilé des filles : la messe, c’est un spectacle de soldats.

Cette veille d’attaque, ils sont venus plus nombreux encore que les autres dimanches. Ils chantent. Leurs voix mâles conservent dans la prière un rude accent de vie brutale ; ils chantent sans retenue, à pleine gorge, comme dans une salle de débit, et le cantique, par instants, étouffe le canon :

Sauvez, sauvez la France
Au nom du Sacré-Cœur…

Ils chantent cela sans penser aux mots, ingénument, comme des enfants de chœur qui s’égosillent ; et combien sommes-nous, les yeux fermés, le front dans les mains, que ce cantique émeut à nous serrer la gorge !

Sauvez, sauvez la France…

C’est comme un cri profond qui monte de ces orgues humaines. De l’autre côté de la cloison, un blessé crie : « Non ! Vous me faites mal… Pas comme ça ! » On devine la main pressée arrachant le pansement boueux. Ce sont ces plaintes, ces cris rauques qui font au prêtre les réponses.

Puis, la clochette tinte, toutes les têtes s’inclinent. On dirait que la prière les courbe tous, sous son coup de vent. Nous nous tenons, coude à coude, serrés comme dans une sape d’attaque. Le canon rage et