Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/201

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qui s’élève apporte de la tranchée des bruits de fusillade. Un côté de la tente resté ouvert donne sur les lignes et, par delà les bois noirs, on aperçoit l’aube parfois fugitive des fusées.

Étendus sur la paille neuve qui craque, nous écoutons, le cœur grand ouvert, un murmure confus de voix sourdes et de chansons. Dans l’ombre, on entrevoit des taches blanches que la brise ondule : du linge de soldat qui sèche. Mais avec cette nuit claire, ces romances, cette tendresse éparse, on peut croire à des robes blanches qui s’attardent, on peut rêver que des femmes sont là, tout près, qui nous écoutent. On ne leur parlerait pas, non : rien que pour leur présence, les sentir là…

On est si bien sous la caresse de ce vent doux ! Des voix alanguies reprennent le refrain, en sourdine, et traînent sur les mots d’amour, pour les goûter mieux.

Ferme tes jolis yeux,
Car les heures sont brèves
Au pays merveilleux,
Au doux pays du rê…ê…ve.

Les voix s’attendrissent, la chanson meurt… On ne veut plus rien voir : les soldats, la guerre… Elles ne sont pas si tristes, dans la nuit, nos capotes pâles. Tu n’aimerais pas une robe de cette couleur-là ?

Couché tout au fond de la tente, Gilbert dit des vers, précieuses tendresses de Samain que les autres écoutent, sans oser remuer, les yeux criblés d’étoiles.

Les esprits sont loin, si loin : Paris, le village, le mail tranquille, le lit aux draps brodés ou bien le