Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/206

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— Eh bien, Morache… Vous vous y reconnaissez ?

Les obus nous pourchassaient, comme s’ils avaient eu des yeux. Nous allions, bifurquions, rebroussions chemin, mais la meute ne nous lâchait pas, hurlant à nous assourdir et nous saoulant d’âcre fumée.

À chaque flamme, on se jetait les uns dans les autres, têtes et jambes mêlées, aplatis contre la paroi, incrustés dans les trous. Les coups éclataient bas, fouettant parfois le boyau d’éclats, et des cris montaient de tous ces corps blottis.

— Holà ! je suis touché.

Hébétés, nous enjambions des corps ; on avançait de vingt pas en se poussant, puis on se rejetait à quatre pattes, la bouche et les yeux étirés par un tic, bombant le dos sous le fracas.

— Eh bien, Morache, reprenait le capitaine, c’est bien par là ? Ttt ! Ttt !… Vous êtes sûr ?

On repartait, la gorge sèche, sans savoir où. Pas d’affolement pourtant, une sorte de discipline dans le vertige ; l’esprit vacillait, un peu étourdi, comme au sortir d’une forge infernale, mais malgré tout lucide, et, entre deux salves, les commandements passaient quand même, méthodiquement, ainsi qu’un ordre de contremaître transmis dans un fracas d’usine.

Enfin, d’un seul coup, le barrage nous perdit. Ce fut soudain comme un grand calme, et l’on s’aperçut que le soleil était levé. Nous venions de déboucher sur un chemin creux dont les épais buissons verts habillaient les talus. Tout de suite, Sulphart s’élanca, fouillant les branches.

— Hé, les gars… Y a des mûres !…