Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/244

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pris pour un mort, je me recroqueville, je ramène mes genoux.

— Ce que tu remues !

Une ombre lourde nous écrase. Les deux murs rapprochés nous serrent l’un contre l’autre, comme deux gosses dans un giron. Gilbert non plus ne dort pas : je sens contre ma joue son souffle rapide.

Siegfried… Pourquoi n’est-il pas resté ici, puisqu’il avait gravé son nom ? C’est l’autre mort qui l’aura chassé, qui n’aura pas voulu, et il est allé mourir dehors, n’importe où, dans ces gravats hachés par la ferraille. Ce sont peut-être ses pieds raides qui, tout à l’heure, m’ont fait trébucher.

J’ai vu un mousqueton pendu à la branche d’une croix ; des musettes sont accrochées, où étaient des couronnes ; les obus ont tordu les grilles… En ai-je traversé, naguère, de ces cimetières de campagne où les chèvrefeuilles nouaient leurs branches sur les tombes oubliées ! Une fille en corsage rouge sarclait l’allée. C’était l’été. Non, ils ne pouvaient pas avoir aussi froid que nous, sous leur tertre d’herbe grasse ; nous sommes plus morts qu’eux, sous ces dalles où l’on tremble. Un frisson de froid et d’angoisse, glissant par mes manches, vient me glacer jusqu’au ventre. Ce n’est donc pas un mensonge, ce froid de la tombe dont parlent les poètes ? Oh ! ce que j’ai froid…

Là-haut, les obus, à tâtons, cherchent toujours des hommes dans le noir. On va dormir, pourtant. Nous sommes, sous les croix, cinquante, cent morts qui dormons. Ressuscités, les veilleurs guettent, l’œil dur, par-dessus le parapet qui s’éboule. Combien de songes,