Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/246

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de ses cuisses broyées, mais une soif horrible le fait geindre.

La nuit, on lui porte de l’eau, du café quand il en arrive. Mais, dès midi, tous les bidons sont vides. Alors, brûlé de fièvre, il tend son cou maigre et lèche avidement la pierre du tombeau où l’eau suinte.

Un petit, dans un coin, racle sa langue blanche avec un couteau. Un autre ne vit plus que par l’imperceptible halètement de sa poitrine, les yeux fermés, les dents serrées, toute sa forme ramassée pour se défendre contre la mort, sauver son peu de vie qui tremblote et va fuir.

Il espère, pourtant, ils espèrent tous, même le moribond. Tous veulent vivre, et le petit répète obstinément :

— Ce soir, les brancardiers vont sûrement venir, ils nous l’ont promis hier…

La vie, mais cela se défend jusqu’au dernier frisson, jusqu’au dernier râle. Mais s’ils n’espéraient pas les brancardiers, si le lit d’hôpital ne luisait pas comme un bonheur dans leur rêve de fièvre, ils sortiraient de leur tombe, malgré leurs membres cassés ou leur ventre béant, ils se traîneraient dans les pierres avec leurs griffes, avec leurs dents. Il en faut de la force pour tuer un homme ; il en faut de la souffrance pour abattre un homme…

Cela arrive, pourtant. L’espoir s’envole, la résignation, toute noire, s’abat lourdement sur l’âme. Alors, l’homme résigné ramène sur lui sa couverture, ne dit plus rien, et, comme celui-là qui meurt dans un coin de tombeau, il tourne seulement sa tête fiévreuse, et lèche la pierre qui pleure.