Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/258

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non, peau d’hareng, raille-t-il avec aigreur. J’dis et j’prétends que, pour adoucir, il faut ajouter deux quarts de flotte par litre de pivre et mettre cinq bons morceaux de sucre par quart.

— C’est de trop, répond tranquillement Lemoine. Tu ne sens plus l’vin.

— On ne sent plus l’vin, qu’il dit !

Mais, au lieu de se mettre en colère, Sulphart hausse simplement les épaules, comme s’il acceptait bénévolement d’être outragé.

— J’aime mieux pas discuter, tiens, t’y mets tout de suite d’la mauvaise foi.

Lemoine ne réplique pas. Il crache dans le feu et songe à des choses… Le vin chante dans la bassine.

Les murs de la ferme sont très vieux, trapus et noircis. La fenêtre a des petits carreaux poussiéreux que le clair de lune traverse en hésitant. De précieuses toiles d’araignées, qu’on dirait de velours gris, pendent du plafond où se tord une énorme poutre de châtaignier. Toute la guerre et tous les champs, tout cela tient dans cette pièce sombre, raconté par quelques objets disparates qui traînent : des terrines sur un bahut bancal, des cartouches dans une jarre, des sacs d’on ne sait quoi, des fusils alignés, des casques, un grand van.

Accroupi sur un petit escabeau de trayeuse, Broucke fait rôtir ses jambes nues, regardant fumer son pantalon bleu qu’il a mis à sécher au-dessus de l’âtre, avec le linge de Maroux.

— J’pourrai cor mieux dormir, explique-t-il à notre nouveau caporal. Ché poux n’me maqueront plus le ventre.