Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— C’est plus du ragoût qu’on va toucher, ce sera de la soupe.

Debout sur sa voiture, comme un forain misérable obstiné à faire la parade, un cuistot brandissait une croix de bois blanc, toute neuve.

— La septième n’est pas là ? braillait-il. Qui c’est qu’a commandé une croix ?

Il s’agitait, semblant l’offrir comme une plaque de loterie. Les hommes s’interrogeaient.

— Ils ont un tué à la septième ?

— Oui, Audibert. Une torpille. Ils l’ont enterré au chemin creux.

Ruisselants, le pantalon collé aux cuisses, ils pataugeaient en bavardant. Plusieurs, penchés sur le tonneau qui glougloutait, regardaient distribuer le vin. Sulphart surveilla un long moment le partage, ses boules de pain toutes visqueuses en brochette sur son gourdin, puis il sortit du groupe.

— Prends les babilles, Demachy. J’vas toucher le cric.

Les lettres, Gilbert n’était venu que pour cela. Il avait demandé à aller à la soupe – quatre heures aller et retour dans la boue gluante des boyaux – pour être sûr d’avoir la lettre de Suzy, la chercher lui-même dans le tas du fourrier : cela faisait cinq jours qu’il n’avait rien reçu d’elle, cinq nuits qu’il rageait au créneau contre le vaguemestre, le fourrier, les cuistots, tous ceux qui devaient lui voler son courrier. Ce soir, n’y tenant plus, il s’était offert pour la corvée.

Plusieurs fois, il arrêta le vieil engagé qui courait du tonneau aux voitures, pour surveiller les cuisiniers.