Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/280

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Derrière nous se dressaient les baraquements noirs d’une ambulance et, comme dépendances, un verger de croix de bois. Elles se tenaient rigides sur leurs tertres crayeux, bien alignées, éternellement prêtes pour la grande Revue, et l’on avait, plus loin, couché les « tiraillous », la tête vers La Mecque, veillés par l’étroite planchette taillée en ogive.

À l’autre bout du cimetière, des territoriaux travaillaient. On s’approcha, sans penser à rien, simplement pour voir : c’étaient des fosses qu’ils creusaient. Toute une allée de fosses. En nous apercevant, les pépères avaient cessé de piocher, comme honteux. L’un d’eux, appuyé sur sa pelle, nous expliqua d’un air gêné :

— C’est des ordres, hein… Avant un coup dur, il vaut mieux prendre ses précautions… La dernière fois, il y en a qui ont dû attendre trois jours, heureusement que c’était l’hiver.

Nous ne répondions rien. Nous regardions nos trous… Le premier, Sulphart se révolta :

— Ah non ! s’exclama-t-il, ce coup-là, il y a de l’abus… Nous donner ça comme cinéma avant de remonter au casse-pipes, c’est bluffer l’homme.

Et, d’une traite, il courut aviser le commandant qui passait à cheval. On eut juste le temps de le voir se mettre au garde à vous et dire deux mots : d’un bond, le cheval était sur le talus. Cramoisi, étranglé de colère, le commandant criait aux anciens effarés :

— Allez-vous me foutre le camp !… Allez-vous filer, ou je vous fais chasser par mes poilus à coups de pied dans le cul… Qui est-ce qui vous a donné cet ordre-là ?… Je vous ordonne de me le dire !…

Tous les territoriaux avaient filé, abandonnant leurs