Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/288

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— Faut pas passer par là, nous prévint-il d’une voix endormie, c’est défendu. Il faut prendre l’autre piste, celle-là est repérée.

Le nouveau sous-lieutenant, à qui il s’adressait, regarda la vaste forge d’ombre où des éclairs, çà et là, éclataient sous les coups de marteau.

— Mais ça n’a pas l’air de tomber là plus qu’ailleurs, observa-t-il.

L’homme battait toujours la terre de sa danse pesante, ses mains blotties sous les aisselles et la figure enfouie.

— J’dis pas non, répondit-il la voix perdue sous sa couverture. Moi, j’suis là seulement pour dire que c’est défendu… Maintenant, ceusses qui veulent y passer y passent ; moi, comme de bien entendu, j’m’en fous…



Cette tranchée toute neuve était ourlée de terre fraîche, comme une fosse commune. C’était peut-être pour gagner du temps qu’on nous y avait mis vivants.

Ceux que nous relevions l’avaient creusée en deux nuits, exhumant à coups de pioche des cadavres entassés, et, par endroits, des morceaux d’hommes émergeaient du mur. À un pied clouté qui dépassait, Sulphart avait accroché ses musettes et les mitrailleurs avaient posé leur pièce sur le ventre gonflé d’un Allemand dont un bras pendait et que cachait à peine une gangue friable. Il pesait dans ce trou une odeur âcre et douceâtre de mauvais marais. On avait mis à jour l’entrée de deux gourbis ennemis. L’escalier de