Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/291

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Sous mes bras posés à plat sur le parapet, la terre frémissait, pilonnée sans répit. Mais devant nous, ils ne marmitaient plus. Sur notre gauche, on percevait un tintamarre étouffé de relève : une compagnie de chez nous venait d’arriver et les autres, qui avaient le sac au dos depuis longtemps, déboîtaient hâtivement. Les nouveaux grognaient.

— Juste un gourbi et c’est la troisième qui l’a pris… Toujours les mêmes qui se dém… Les copains peuvent toujours crever.

Sans abri, sans un trou pour se blottir, ceux qui n’étaient pas de veille s’accroupirent, le dos voûté sous la toile de tente, et, le menton sur les genoux, ils essayèrent de dormir.

Une petite flamme de briquet jaillit, la pluie l’éteignit aussitôt. Elle éclata encore, tout de suite soufflée.

— Lumière ! gronda une voix irritée.

Pas intimidé, l’homme s’entêta, voulant sans doute allumer sa pipe. Trois fois, quatre fois, le mince feu follet surgit. Je vis alors une silhouette se dresser et bousculer les autres, pour s’approcher du fumeur.

— Vous n’êtes pas fou ?… Vous ne savez pas que c’est défendu de faire de la lumière…

— T’as les grolles de te faire repérer ? répondit l’homme, d’une voix qui me surprit.

— Taisez-vous !… Je vous dis que…

— Ah ! passe la main, gars, passe la main, répondit l’autre posément, de la même voix gouapeuse que je croyais reconnaître.

— Savez-vous à qui vous parlez ?… Levez-vous d’abord pour me répondre.

— Poisse-z-en un autre, dis, tu me fais mal.