Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/299

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L’ancien cuisinier était enfoncé dans un coin, entre deux piles de sacs.

— Et pourquoi que ça serait à moi, protesta-t-il d’une voix larmoyante en tournant vers nous sa grosse tête pitoyable. On ne va pourtant pas me mettre en sentinelle tout seul ?… Je n’y vois presque pas, surtout la nuit, j’ai un œil comme perdu…

— Assez, Bouffioux, interrompit Ricordeau, le bureau des pleurs est fermé.

— Tout de même, bredouilla l’autre, je trouve que je serais plus utile tout à l’heure à piocher.

Le petit Broucke regarda le gros tas d’un air dégoûté.

— Tiens, j’y vo, déclara-t-il, j’y vo à t’place… J’sais mi ce que t’o din l’ventre, mais c’est point grand’chose.

Il grimpa l’escalier. Comme il sortait, un coup plus violent ébranla le gourbi, où il jeta une lueur d’éclair.

— Broucke ! appela Maroux inquiet.

De là-haut, une voix tranquille répondit :

— T’in fais point…

C’était un pilonnage régulier, inexorable, où les obus se suivaient sans répit, broyant mètre par mètre la terre ravagée. Debout au pied de l’escalier, Ricordeau écoutait les arrivées.

— Il n’est pas tombé loin… C’est du 150… Qu’est-ce qu’ils nous sonnent !

Le nez au plafond bas, fait de rondins serrés, les camarades discutaient.

— Je me demande si un 210 passerait.

— Penses-tu, il y a plus de quatre mètres de terre.

— Ça ne prouve rien. Leurs gros à percussion retardée…