Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

baient si près qu’à chaque obus ils sentaient la terre lutter sous eux. Une détonation plus terrible gronda et la fumée, subitement, remplit le trou… Sulphart se crut enseveli. Il fit un mouvement violent pour se dégager, mais son bras était pris sous le buste de l’autre, leurs deux corps se coinçaient et il ne put bouger. Effrayé, il se débattit croyant sentir qu’il étouffait sous l’éboulement ; déjà il suffoquait, quand la fumée, en s’envolant, lui montra le jour. Alors, devant sa face, contre ses yeux, Sulphart vit la Mort dans le regard du vieux. Il fut un instant terrible, ce regard d’homme, il eut une seconde d’atroce résistance, puis une lueur sembla s’y éteindre, il devint terne, troublé, vitreux… Et Sulphart reçut sur ses lèvres le dernier souffle du moribond, un geignement horrible, comme s’il avait vraiment rendu sa vie dans ce dernier hoquet. Sulphart resta un instant encore serré contre le mort, dont les yeux à présent se révulsaient, puis il se dégagea brutalement et sortit du trou, en levant sa main gauche qui le torturait au moindre heurt. Quand il fut debout, il sentit dans sa bouche un goût étrange. Il cracha, c’était tout rose… Apeuré, il but d’un trait le fond de rhum qu’il avait dans son bidon, et il repartit plus vite, craignant de tomber en route.

Il ne connaissait pas ces boyaux sinueux taillés dans la boue. Mais, de loin en loin, des agents de liaison ou des brancardiers lui disaient : « Suis tout droit » et il allait tout droit, sans vouloir se reposer.

Il aperçut enfin une planchette : « Poste de secours » et descendit dans le gourbi. Pour arriver en bas, il fallait enjamber les blessés accroupis sur les marches. La cagna aussi en était pleine : de grands blessés,